© MARCO BORRELLI

Chouchou du public parisien, le spectaculaire ténor américain reviendra dans la capitale dès le mois de décembre, pour Il pirata de Bellini, en version de concert, au Palais Garnier, puis en juin 2020, pour un récital à Éléphant Paname. Le 20 septembre, chez Erato, est sorti un Requiem de Berlioz dirigé par John Nelson, dont il est le soliste, et le 22 novembre, sous la même étiquette et avec le même chef, paraîtra La Damnation de Faust. Preuve de l’indéfectible amour de Michael Spyres pour la musique du compositeur natif de La Côte-Saint-André, dont on célèbre, en 2019, le 150e anniversaire de la disparition.

Vous considérez-vous comme un spécialiste – de Rossini, du « grand opéra » français, des rôles impossibles… – ou cherchez-vous, au contraire, à ne pas apparaître comme tel ?

J’essaie de ne pas l’être. J’accepte simplement les engagements qui me sont proposés. Lorsque j’ai commencé, il y a une vingtaine d’années, à passer des auditions, je présentais des airs de Verdi et Puccini, qui sont à peu près les seuls compositeurs avec lesquels il est possible, encore aujourd’hui, de s’imposer aux États-Unis. Mais ce n’est pas vraiment ce qui me tenait à cœur. L’opéra a toujours été pour moi une façon de me poser des défis, pour pouvoir évoluer – c’est le sens même du mot : une œuvre d’art, qui va changer la société. Que le répertoire courant soit limité à une dizaine de titres me paraissait tellement étroit d’esprit ! J’ai donc commencé à m’aventurer sur des versants plus obscurs, particulièrement le « grand opéra », qui constitue l’apogée de l’histoire du genre. Pendant au moins cinquante ans, Paris a été le creuset où, enfin libérés de la censure, des compositeurs originaires de France, d’Allemagne et d’Italie ont créé de merveilleuses œuvres d’art : Rossini, Verdi, et même Wagner, sont venus ici, car ils pouvaient traiter les sujets dont ils pensaient qu’ils allaient changer l’humanité. C’est ce qui m’a attiré vers cette musique. D’autant qu’on n’avait pas cessé de me dire : « C’est bien, nous aimons votre voix, mais vous n’êtes pas un ténor italien. Peut-être pourriez-vous faire quelque chose de spécial… » Je me suis donc lancé dans ce répertoire « spécial », et c’est ce qui a sauvé ma carrière. Après six années passées à courir les auditions, et à chanter dans des chœurs, sans décrocher aucun contrat, toutes les portes ont commencé à s’ouvrir. Je connais Rossini comme ma poche, mais aussi Berlioz et Donizetti. C’est pourquoi on me voit comme un spécialiste. Et pourtant, j’ai touché à tout, du baroque au contemporain… C’est le seul moyen de se connaître et de devenir un véritable artiste.

Cet ambitus phénoménal, qui vous permet d’aborder des rôles hors de portée pour le commun des ténors, est-il inné ou acquis ?

Il m’a fallu des années de formation et de pratique pour parvenir à ce résultat. J’ai toujours été fasciné par le son et sa production. Dans ma famille, nous nous surnommons les « Hillbilly Von Trapps » – qu’on pourrait traduire par les « Von Trapp du Midwest » –, en hommage à cette famille « chantante » qui a inspiré The Sound of Music (La Mélodie du bonheur) ! En effet, ma sœur se produit à Broadway, et mon frère est également ténor. Mais le répertoire le plus incroyable pour moi est le « grand opéra » français, dont le ténor est le centre, avec sa capacité à atteindre les limites de la voix humaine. Cela m’a pris presque dix ans pour arriver à comprendre comment devenir ce ténor. Avant d’être chanteur d’opéra, je rêvais de faire du doublage de dessins animés ! J’adore Bugs Bunny et les autres personnages des Looney Tunes, dont quasiment toutes les voix étaient faites par une seule personne, Mel Blanc. Chaque jour, je trouve de nouvelles sonorités étranges, et repousse mes limites, tant dans l’aigu que dans le grave, pour essayer de percer les secrets de cet instrument bizarre que nous avons en nous, et que nous utilisons pour communiquer. Cela m’a aidé à approcher le chant d’une manière très différente, en refusant les catégories qui n’ont vraiment été fixées qu’à partir du milieu du XIXe siècle, quand l’écriture orchestrale a commencé à prendre beaucoup d’ampleur. À l’époque baroque, un ambitus de trois octaves n’avait rien d’anormal. Est-ce Maria Callas qui a dit : « Un chanteur qui prétend ne pas faire de coloratures est comme un pianiste qui ne jouerait que des accords » ? C’est une de mes citations préférées. Pourquoi les gens s’enferment-ils dans des cases aussi petites, alors même que cet art est censé nous éclairer, et changer chacun de nous ? Je savais que je pouvais faire quelque chose de différent. L’opéra est presque une discipline olympique : les harmoniques nécessaires pour passer l’orchestre – le fameux formant du chanteur – exigent un contrôle physique et mental hors du commun. J’ai eu un professeur pendant deux ans et demi, mais je suis le genre d’homme qui veut ne devoir qu’à lui-même son échec ou sa réussite. J’ai passé des années à devenir ce que je suis, mais je suis un acharné. Beaucoup d’autres avant moi ont suivi le même chemin. Le plus célèbre est Manuel Garcia (1775-1832), qui chantait aussi bien les ténors chez Rossini, dont il était l’ami, que les barytons. Apprendre que d’autres se situaient comme moi, dans ces catégories extrêmement fluctuantes, a été très libérateur. Avec les années, ma voix devient plus sombre, et je ferai avec joie ces Wagner qu’on me demande. Pour combattre les idées fausses, car lui aussi ne se souciait que de bel canto !

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 154

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