Azucena dans Il trovatore, à Salzbourg (2014). © SALZBURGER FESTSPIELE/FORSTER

La contralto canadienne, arrivée en France pour sa première Charlotte dans Werther, à Montpellier, le 20 mai, sera l’une des héroïnes de l’été des festivals. Le 10 juillet, au Théâtre Antique d’Orange, elle incarnera Dalila, face au Samson de Roberto Alagna, sous la baguette d’Yves Abel et dans une mise en scène de Jean-Louis Grinda. Un rôle qui lui va comme un gant, et dans lequel elle devrait, une fois encore, accomplir des merveilles.

En essayant de voir le verre à moitié plein, quels effets bénéfiques avez-vous pu retirer de la pandémie ?

Les bons côtés ont été d’ordre familial. Pour la première fois de sa vie, ma fille de 13 ans a eu sa mère auprès d’elle pendant toute une année. J’ai vécu le quotidien : la ménagère de moins de 50 ans, c’était moi ! J’ai beaucoup de facilité à me faire une raison, à m’accommoder, et cela me plaisait assez. Mon compagnon a repris l’enseignement. Et j’ai pu passer un été complet dans ma région natale, au Lac-Saint-Jean. J’ai perdu mon père, l’an passé, et cela nous a permis d’être ensemble, ma mère et moi. Je me suis reposée, tout en continuant à travailler ma voix. Au Québec, j’ai aussi participé à l’Intégrale des mélodies de Massenet, enregistrée par le label ATMA Classique : douze CD sont prévus, en trois coffrets ! Erato & Warner Classics, ma maison de disques, a eu la grande générosité de me laisser cette liberté, et je lui suis d’autant plus reconnaissante que ce projet m’a tenue en forme : être en studio, qui plus est avec des copains ! J’ai gravé de nombreux duos avec Karina Gauvin, et même quelques trios avec Julie Boulianne. Massenet, dont la dernière muse, Lucy Arbell, était contralto, était un amoureux des voix graves féminines. Et cela s’entend, parce qu’il a écrit beaucoup de belles choses pour ma tessiture.

Ce temps de pause forcée vous a-t-il permis de remettre en perspective la façon dont vous menez votre carrière ?

En vingt et un ans de carrière, je n’ai jamais cessé d’aménager, de réorganiser… J’ai donc simplement pu constater que je menais bien mes affaires ! De toute façon, je me remets constamment en question. Durant l’année écoulée, il m’a fallu dire adieu à des prises de rôles importantes. Mais j’essaie de ne pas trop m’apitoyer sur mon sort. D’autant que je viens d’arriver à Montpellier (1), pour réaliser un rêve que je caresse depuis mes débuts. À la question de savoir quels personnages je voulais incarner, je répondais toujours Dalila (Samson et Dalila) et Charlotte (Werther) ; désormais, ma voix est mûre pour ce défi ! Valérie Chevalier, qui est une directrice fantastique, a toujours été très généreuse avec moi : à Nancy, elle m’a fait faire les rôles-titres de Giulio Cesare et Orlando furioso, mais surtout Isabella dans L’Italiana in Algeri, tellement marquante pour ma floraison vocale… Je suis ravie de retrouver Valérie pour ma première Charlotte, à l’Opéra Comédie, de surcroît en compagnie de Jean-Marie Zeitouni, un ami que j’adore, comme chef d’orchestre. Sur le papier, je suis prête. Serai-je à la hauteur de mes attentes ? Mon exigence est d’autant plus forte vis-à-vis de moi-même, que je tiens cet ouvrage en très haute estime. J’aurai au moins coché cette case !

Le rôle de Charlotte est écrit pour une mezzo-soprano. Vous considérez-vous toujours comme une contralto ?

Je ne tiens pas trop compte des appellations : en réalité, je suis un instrument. Dans Werther, j’utilise plus mon côté violonistique, alors que Dalila demande davantage des sonorités de violoncelle. Marie Delna, la Charlotte de la création parisienne, en 1893, avait un répertoire très proche du mien : Mrs. Quickly (Falstaff), Cassandre (Les Troyens), et aussi Dalila. Je suis à cheval entre contralto et mezzo, mais je préfère me qualifier de contralto lyrique, avec quelques aigus. Je pense, sans vouloir me comparer à elle, à la façon dont Christa Ludwig, une de mes idoles de toujours, s’est promenée dans ces univers. Pendant la pandémie, j’ai veillé à ce que mon instrument reste en forme, ce qui n’avait rien d’évident. En effet, au début, le confinement était tellement sévère que je n’avais même pas le droit de travailler avec un pianiste. Mais, comme chanter seul est un tue-voix, je n’ai pas eu d’autre choix que de mettre des accompagnements pour karaoké ! C’est ce qui m’a permis de survivre pendant les premiers mois. Avec Charlotte, je me remets vraiment dans le bain. Après tout ce temps passé dans ma bulle de création, j’ai l’impression d’avoir perdu la notion de don, et je ne sais pas comment je vais réagir au fait de chanter devant le public.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 173

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