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© FADIL BERISHA

Vedette de la toute nouvelle intégrale de Zazà de Leoncavallo, chez Opera Rara, la soprano albanaise revient aux Chorégies d’Orange, les 9 et 12 juillet, pour Madama Butterfly, sous la baguette de Mikko Franck et dans une mise en scène de Nadine Duffaut. Le rôle de Cio-Cio-San est sans doute, avec Violetta dans La traviata, celui auquel on associe le plus spontanément son nom, car il lui permet de libérer cette intensité dévastatrice qui fait tout le prix de ses incarnations. Gageons qu’il en ira de même pour sa première Antonia des Contes d’Hoffmann, le 3 novembre, à l’Opéra National de Paris, au côté de Jonas Kaufmann !

Comment êtes-vous venue au chant ?

J’ai l’impression d’avoir toujours chanté. Enfant, j’étais très timide, mais dès que je chantais, je me sentais libre. Mon père, qui l’avait remarqué, m’a encouragée. À 6 ans, j’ai commencé à étudier le chant, mais le choc est venu quand, à 14 ans, j’ai vu mon premier opéra sur scène : La traviata, à Tirana et en albanais ! Dès lors, j’ai su ce que je voulais faire plus tard, me promettant de ne pas mourir sans avoir chanté, au moins une fois, Violetta. C’est arrivé trois ans plus tard, au cours de mes études ; certes, c’était avec piano seulement, mais mon rêve s’était réalisé ! Depuis, Violetta m’a accompagnée dans le monde entier – Marseille, Bilbao, Stockholm, Vienne, Berlin, Londres, New York, Paris… –, souvent pour mes débuts dans ces théâtres. J’ai appris à gérer ce rôle écrasant et, peu à peu, je l’ai enrichi de mon expérience de femme. J’en suis maintenant à plus de deux cent trente représentations ! Mais, à chaque fois, je me revois petite fille découvrant La traviata à Tirana, comme si ce rêve devenu réalité continuait à se développer…

Dans votre actualité immédiate, il y a Madama Butterfly aux Chorégies d’Orange…

Aux Chorégies, j’ai déjà chanté Micaëla dans Carmen, à l’été 2008, et j’ai aussi participé à l’édition 2014 du grand concert « Musiques en fête », aux côtés de très nombreux artistes. L’acoustique y est bien meilleure qu’aux Arènes de Vérone, par exemple, et malgré la taille du Théâtre Antique, on garde une proximité avec le public. Surtout, on ne peut pas trouver cadre plus adapté pour certaines scènes phares de Madama Butterfly : l’entrée de l’héroïne et, bien sûr, le magnifique duo d’amour, avec ces étoiles dont parle le livret, que l’on entend s’allumer dans l’orchestre… et que je rêve de voir briller, pour de vrai, dans le beau ciel de Provence ! Je sais que la mise en scène de Nadine Duffaut sera respectueuse de l’œuvre. La seule inconnue reste le mistral… mais c’est un risque à courir.

Avez-vous souvent été en désaccord avec des metteurs en scène ?

Pas très souvent, heureusement, mais parfois, c’est à se demander si leur traduction du livret n’est pas bourrée de fautes ! Dans ces cas-là, j’essaie de discuter, de changer un peu les choses quand c’est possible. Sinon, j’en prends mon parti en me disant qu’au moins, la musique est là. Et c’est le principal.

Qu’avez-vous pensé de la production de Madama Butterfly signée par Robert Wilson, dont vous avez assuré une des nombreuses reprises à l’Opéra Bastille, en septembre-octobre 2015 ?

Pour être franche, cela a été très difficile. Je ne dis pas que c’était un mauvais spectacle : en tant que spectatrice – je chantais en alternance avec Oksana Dyka –, je l’ai trouvé cohérent et très bien éclairé. Mais en tant qu’artiste, j’étais malheureuse : pour moi, Madama Butterfly est une œuvre très méditerranéenne, où j’ai besoin de m’exprimer non seulement avec ma voix, mais avec mon visage et les mouvements de tout mon corps… Surtout dans une grande salle comme l’Opéra Bastille ! Là, je me sentais constamment bridée et j’avais peur que cette Cio-Cio-San trop froide perde en émotion. En même temps, c’était une expérience intéressante, car la contrainte m’a conduite à incarner le personnage avec d’autres moyens que ceux que j’ai l’habitude d’utiliser… La fragilité et la jeunesse sont les aspects fondamentaux de Cio-Cio-San. Elle n’a que 15 ans, c’est presque une enfant. Et Puccini, en génie qu’il était, l’aurait attribuée à une grosse voix, comme il est de tradition ? Pas très logique ! Un examen attentif de la partition révèle qu’il n’y a que quatre à cinq passages, où la soprano doit affronter un orchestre chargé et fortissimo. Tout le reste est de la dentelle. Regardez l’entrée de Cio-Cio-San, sur le chœur féminin : une voix trop mûre est incapable de ces longues phrases planantes dans l’aigu, tel l’envol d’un papillon, culminant sur un contre-ré bémol filé. Bien sûr, une incarnation ne se résume pas une note, mais celle-ci me semble importante pour caractériser le personnage dès le début. Et j’ai compris que dans ce rôle, avec mes atouts et mes limites, j’avais tout à fait ma place : c’est par rapport à un pianissimo antérieur qu’un fortissimo peut acquérir l’impact expressif souhaité. Mais pour se laisser convaincre, il faut accepter de renoncer aux a priori sur ce répertoire. Moi, je pense qu’une grande voix fait de l’effet dix minutes : au-delà, le spectateur a envie d’autre chose. Quand j’ai débuté en Cio-Cio-San – c’était à Philadelphie, en 2009 –, beaucoup m’ont prédit que j’y laisserais ma voix. Or, je la chante toujours, et de plus en plus souvent ! Et ce sont les mêmes qui sont venus ensuite me féliciter et me demander ce rôle chez eux ! Réussir à convaincre ces oiseaux de mauvais augure, aux oreilles remplies de références – Maria Callas, Renata Tebaldi, Renata Scotto… –, c’est évidemment une belle victoire.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 119

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