Après la fastueuse production de l’Opéra-Comique, en janvier 2008, puis la parution remarquée du spectacle en DVD, chez Alpha Classics (voir O. M. n° 36 p. 72 de janvier 2009), Vincent Dumestre nous offre aujourd’hui, sans atours visuels, un Cadmus & Hermione d’une rare tenue. Avec le concours de chanteurs très inspirés, le chef fondateur et directeur artistique du Poème Harmonique tient sa revanche sur sa première approche, quelque peu empesée et sous-distribuée vocalement.

Car, disons-le tout net, les voix réunies pour cette gravure de studio, en novembre 2019, sont autrement plus convaincantes que celles de l’Opéra-Comique : la première « tragédie lyrique » de Lully (1673) s’en trouve notablement métamorphosée. Ce qui apparaissait, en 2008, timide et contraint, s’épanouit, cette fois, avec générosité et style. Plus incarné, plus émouvant, le chant infiltre magnifiquement airs et récits. Tout respire et prend corps, ce qui n’était pas toujours le cas dans la première version.

Il faut dire qu’ici, les interprètes brillent par leur personnalité affirmée et leur style affûté. À commencer par Thomas Dolié, lequel trouve en Cadmus un rôle à sa pleine mesure. Ses langoureux et déchirants adieux (« Je vais partir, belle Hermione ») émeuvent et surclassent sans hésitation ceux, pourtant louables, d’André Morsch, onze ans plus tôt. Son français restitué sonne, par ailleurs, avec beaucoup plus de naturel, ce qui est un atout supplémentaire.

L’Hermione d’Adèle Charvet est un miracle de subtilité et d’aisance. Le timbre suave de la mezzo française, sa diction ciselée et sa sensibilité à fleur de peau flattent les moindres replis du rôle. Dès les premières notes émises sur le divin « Cet aimable séjour », on est frappé par le style imparable de la jeune artiste. Plus encore, son « Amour, vois quels maux tu nous fais » transporte par sa passion contenue et vibrante, ce qui n’était pas le cas avec Claire Lefilliâtre, en dépit d’une prestance splendide.

Dans le sillage de ce couple idéalement apparié, il faut aussi saluer les nombreux personnages adjacents, qui interviennent au fil de la narration. Loin d’être de simples faire-valoir aux deux héros, ils façonnent avec caractère les contours de cette partition d’un genre encore en devenir, prémice des futures grandes « tragédies lyriques » (Amadis, Armide…). On remarque, tout spécialement, la mezzo française Eva Zaïcik, le ténor britannique Nicholas Scott et le baryton-basse argentin Lisandro Abadie.

L’Ensemble Aedes se montre irréprochable d’homogénéité et de vitalité. À ce titre, il n’est pas inutile de célébrer le travail de son chef, Mathieu Romano.

Sous la baguette précise, éloquente et instruite de Vincent Dumestre, la musique paraît beaucoup plus fluide et élancée qu’en 2008. De l’imposant Prologue jusqu’à l’éclatant final, les pupitres savoureux et ductiles de l’Orchestre du Poème Harmonique se montrent d’un raffinement de tous les instants, que la très belle prise de son sublime sans conteste.

Un disque superbe, reflet d’un vrai et beau travail d’équipe.

CYRIL MAZIN

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