Premier disque du tout nouvel ensemble Jupiter, fondé et dirigé par le luthiste Thomas Dunford, ce délectable florilège vivaldien montre à quel point les nouvelles générations d’interprètes de la musique baroque ont de la personnalité, de la ressource et de l’imagination.

Sans être exclusivement un récital dédié à la production vocale du compositeur – quelques pages concertantes pour basson, violoncelle ou luth, l’émaillent de manière substantielle –, ce programme, illuminé par le timbre prenant de Lea Desandre, se déploie au fil de sept airs devenus des « classiques » depuis la parution, il y a vingt ans, du Vivaldi Album de Cecilia Bartoli (Decca).

On retrouve avec grand plaisir la jeune mezzo franco-italienne, dont Sara Mingardo, son professeur, a su épanouir les si belles aptitudes. Dès l’entêtant « Gelido in ogni vena », tiré de Farnace, la couleur et la profondeur de l’instrument captivent par leur fusion naturelle, la voix se déployant avec une éloquence exquise, sans jamais surjouer l’affect. Du coup, la charge émotionnelle de chaque air se révèle remarquablement maîtrisée, même si un surcroît d’abandon n’aurait pas nui aux lignes obstinées de Cum dederit, extrait du célèbre psaume Nisi Dominus.

Le virtuose « Armatae face et anguibus », comme le mélancolique « Veni, veni me sequere fida », tous deux issus de Juditha triumphans, offrent à Lea Desandre la possibilité de montrer à quel point elle sait dompter les versants contrastés d’un même ouvrage : le premier atteste d’une vélocité toujours au service de l’émotion, le second met en lumière la beauté et la ductilité constitutives du timbre.

Par sa générosité touchante, la voix transcende sans peine les soupirs amoureux de « Vedro con mio diletto » (Giustino), dont certains contre-ténors au chant dit « angélique » ont jusqu’ici fait leur miel. Avec Lea Desandre, point d’effet séraphique, mais un émoi éminemment sensuel et pudique : par son lyrisme suave et retenu, l’air s’en trouve magnifié.

Les deux dernières plages du disque explorent à nouveau l’antagonisme possible des effusions vocales chez Vivaldi. Le sinueux « Mentre dormi, Amor fomenti » (L’Olimpiade) agrège à lui seul quelques-unes des qualités les plus vives de la jeune mezzo : un sens de la respiration inné, un vibrato délicieux, une émotion à fleur de peau, une diction sûre et charnelle.

L’impétueux « Agitata da due venti » (Griselda) consacre enfin son enivrante vélocité : toujours nourries mais très percutantes, ses vocalises n’assèchent jamais le discours musical ; au contraire, elles l’exaltent en lui donnant une densité inédite.

Que dire des musiciens membres de l’ensemble Jupiter ? Ils illuminent tout simplement, de leur enthousiasme instruit, ces œuvres maintes fois entendues. Le basson volubile de Peter Whelan, le violoncelle incisif de Bruno Philippe, le luth arachnéen de Thomas Dunford, témoignent d’une ferveur contagieuse, dont le « ghost track » (« We are the ocean, each one a drop », piste 17) est aussi, dans son genre, un condensé d’intelligence, de passion et de liberté.

CYRIL MAZIN

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