Comptes rendus Le Roi Arthus à Paris
Comptes rendus

Le Roi Arthus à Paris

26/06/2015

Paris

Le Roi Arthus
Chausson

Sophie Koch (Genièvre)
Thomas Hampson (Arthus)
Roberto Alagna (Lancelot)
Alexandre Duhamel (Mordred)
Stanislas de Barbeyrac (Lyonnel)
François Lis (Allan)
Peter Sidhom (Merlin)
Cyrille Dubois (Un laboureur)

Philippe Jordan (dm)
Graham Vick (ms)
Paul Brown (dc)
Adam Silverman (l)

Opéra Bastille, 16 mai

Date historique pour l’Opéra National de Paris avec cette entrée au répertoire du Roi Arthus, « drame lyrique » créé à la Monnaie de Bruxelles, il y a plus de cent ans (1903). Après des tentatives dispersées et, en dernier lieu, l’échec de l’Opéra National du Rhin, à Strasbourg (voir O. M. n° 95 p. 62 de mai 2014), il fallait bien la vaste salle de Bastille pour lui rendre totale justice, et un orchestre maison superlatif que Philippe Jordan, son directeur musical, fait briller splendidement dans l’illustration de la somptueuse partition d’Ernest Chausson.

On est empoigné d’emblée par la fulgurance du Prélude, et une grandeur d’inspiration qui ne faiblit pas. À peine un souffle dans le public pendant ces deux heures quarante, pour un triomphe final qui témoigne de l’attention soutenue, et émue le plus souvent, à l’écoute d’une partition où Wagner est constamment à l’arrière-plan (Tristan pour le duo du I, sans doute, mais surtout Parsifal et le Ring), et pourtant en rien épigonale – pleinement de tradition française, au contraire, et porteuse de la personnalité exceptionnelle de son auteur, de haute pensée, de haute culture, de haute sensibilité, dont témoigne aussi la qualité littéraire de son livret.

C’est ce qu’a compris, et incarné avec un talent qui force l’admiration, un plateau vocal magnifiquement engagé. On mettra sur un même plan le trio des protagonistes : Sophie Koch d’abord, après un début un peu tendu, pour sa Genièvre volontaire, passionnée en même temps qu’énigmatique, puis désespérée au moment du départ de Lancelot – même si le texte n’est pas toujours parfaitement compréhensible, et si les graves ont parfois du mal à passer ; Roberto Alagna ensuite, auquel il faut rendre vif hommage pour son ardent investissement dans un rôle très lourd et moins immédiatement gratifiant, exemplaire de clarté et d’articulation, et brillant d’aigus, sans arrogance ni excès, très intériorisé au contraire, et lui aussi très émouvant ; Thomas Hampson enfin, qui joue avec beaucoup d’intelligence des limites aujourd’hui de ses moyens, poignant dans le grand monologue d’Arthus au II, pour arriver à un exténuant finale d’une bouleversante intensité.

Les seconds rôles sont de même excellents, avec une mention particulière pour le Lyonnel de Stanislas de Barbeyrac, dont phrasé et qualité de timbre confirment la place de premier plan dans ce répertoire, et le Laboureur de Cyrille Dubois, au chant à la fois éclatant et discipliné. Avec un enthousiasme moindre pour le Merlin aux graves profonds, mais qui finit par fatiguer, de Peter Sidhom.

Vivement hué par une partie de la salle, en cette soirée de première, Graham Vick s’était multiplié en déclarations témoignant de son attachement pour l’œuvre (voir O. M. n° 106 pp. 18-19 de mai 2015). De fait, sa mise en scène ne la maltraite nullement, entrecroisant habilement, au contraire, la donnée arthurienne d’origine – évoquée en toile de fond par le vaste et beau paysage de lande, qu’on verra décomposé au finale, et le cercle de glaives fichés au sol et reliés par une corde évoquant la Table ronde, qui se défera peu à peu – et un déplacement de l’action dans l’immédiate après-guerre.

Remplaçant le château royal mentionné dans le livret, une simple maison, réduite à deux de ses murs, témoigne de l’échec de la donnée de vie personnelle, dans une vision « intimiste » de l’œuvre qui contrepointe sa dimension héroïque. Le progressif effondrement du rêve d’Arthus est ainsi rendu avec fidélité, avec une direction d’acteurs souvent belle et créative, jusqu’à un très fort second tableau du III, où l’écroulement d’Arthus et de Lancelot sur l’unique canapé à demi calciné, puis la résurrection des guerriers morts, tiennent magnifiquement ces pages sublimes de la partition. Ailleurs, il faut bien reconnaître que l’invention reste limitée, et l’on reste souvent sur sa faim, par exemple pour le duo du I, évoqué plus haut.

Prosaïques et d’une provocante laideur, correspondant (mais ce n’est pas une excuse) à ce qui fait parfois la force d’une esthétique très « british », les décors et costumes de Paul Brown viennent, en revanche, par trop en hiatus avec la puissance évocatrice de la musique. Un regrettable bémol, qui n’altèrera pourtant pas la joie d’avoir vu enfin reconnu – et si magnifiquement servi – le chef-d’œuvre du compositeur, dans la maison d’opéra même à laquelle il aspirait légitimement.

François Lehel

Roberto Alagna, Thomas Hampson et Sophie Koch dans Le Roi Arthus© OPÉRA NATIONAL DE PARIS/ANDREA MESSANA

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