Comptes rendus La Bohème à l’Opéra Bastille
Comptes rendus

La Bohème à l’Opéra Bastille

20/12/2017

Opéra Bastille, 1er décembre

PHOTO : Aida Garifullina, Artur Rucinski et Sonya Yoncheva. © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/BERND UHLIG

Sonya Yoncheva (Mimi)
Aida Garifullina (Musetta)
Atalla Ayan (Rodolfo)
Artur Rucinski (Marcello)
Alessio Arduini (Schaunard)
Roberto Tagliavini (Colline)
Marc Labonnette (Alcindoro)
Antonel Boldan (Parpignol)

Gustavo Dudamel (dm)
Claus Guth (ms)
Etienne Pluss (d)
Eva Dessecker (c)
Fabrice Kebour (l)
Arian Andiel (v)

À l’intérieur d’une capsule spatiale en panne, des cosmonautes, sachant leur dernière heure arrivée, voient défiler leurs souvenirs. À peine si, au troisième acte, ils auront le temps de se poser sur une planète inconnue, sinistre et désolée, et d’y finir leur courte existence. À l’évidence, pour Claus Guth et son indispensable dramaturge, Yvonne Gebauer, situer La Bohème dans le Paris du XIXe siècle aurait été indigne de leur talent, aussi ont-ils imaginé cette envolée dans les espaces infinis.

Au-delà de cette noble intention, que nous réservent-ils d’original ? Pas grand-chose. Le coup du flash-back, on l’a vu cent fois. Au moins ses réalisateurs pourront-ils, si besoin, recycler cette production dans d’autres ouvrages où mémoire et souvenir ont une importance, tels que Rigoletto ou La traviata – la musique des préludes de ces derniers peut les y inciter, celle de La Bohème beaucoup moins.

Ne vous attendez donc pas à apprendre quoi que ce soit de nouveau sur les amours de Mimi et Rodolfo, même si les sentiments de désolation, de solitude et de mort y sont exacerbés. Mais si vous souhaitez une vision vraiment moderne et décapante d’un chef-d’œuvre chéri du public, regardez plutôt le DVD du spectacle réglé à Oslo par Stefan Herheim, en 2012 (voir O. M. n° 81 p. 79 de mars 2013), vous le recevrez tel un coup de poing et le travail de Claus Guth vous paraîtra d’un vide sidéral.

Un vide bien emballé, toutefois. Car les décors d’Etienne Pluss sont d’une beauté glaçante, les costumes d’Eva Dessecker sont à l’unisson, et certains tableaux ont fière allure : la foule du café Momus de noir vêtue se détachant sur le blanc de l’entourage, Musetta chantant sa « Valse » dans un élément qui pivote soudain, révélant une minuscule scène de music-hall dorée, autant d’images séduisantes.

Ce n’est donc pas le cadre qui pèche, mais son contenu. Que Claus Guth ait voulu tourner le dos à la tradition, on le comprend. Encore aurait-il fallu, pour soutenir ce propos, une direction d’acteurs plus fouillée. D’autant que le metteur en scène ajoute une distance dramatique à la distance historique, en inventant un double à Rodolfo ou en faisant participer à la fête un maître de cérémonie, tout droit venu de Cabaret. Trop, c’est trop : on oublie les personnages, et l’émotion qu’ils devraient transmettre est tuée dans l’œuf.

L’excellent Schaunard d’Alessio Arduini, le digne Colline de Roberto Tagliavini, le Marcello au timbre percutant d’Artur Rucinski, la piquante Musetta d’Aida Garifullina ne faiblissent jamais. Atalla Ayan possède la fougue de Rodolfo ; la voix est jolie, bien conduite, mais de faible impact dans une salle aussi vaste, et le jeune ténor donne parfois l’impression de s’époumoner.

Chez Sonya Yoncheva, visiblement en méforme, l’intonation manque de précision pendant tout le premier acte, l’aigu final du duo « O soave fanciulla » bouge redoutablement, et cette Mimi, dont le metteur en scène a fait un fantôme, n’émeut jamais.

Aucune surprise au rideau : l’équipe scénographique est copieusement huée, les chanteurs applaudis. Mais le triomphateur de la soirée, celui qui en justifie chaque seconde, est Gustavo Dudamel. Paris, qui l’a souvent acclamé dans le répertoire symphonique, découvre ici le chef lyrique.

Claire, haute et nette, sa gestique met les chanteurs en confiance. Et ce qu’il obtient des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris est tout simplement inouï ! Dudamel et ses troupes trament un tissu instrumental soyeux, souple, chatoyant, dont le raffinement constant n’est ni précieux, ni ostentatoire. Le théâtre n’est jamais absent de cette direction vivante et contrastée, qui varie les tempi, la dynamique, les phrasés.

Un chef inspiré aplanit à lui seul les défauts d’un spectacle contestable ; c’est inespéré.

MICHEL PAROUTY

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