Comptes rendus Carmen à Monte-Carlo
Comptes rendus

Carmen à Monte-Carlo

04/01/2021

Grimaldi Forum, 20 novembre

Dans un monde lyrique sinistré, -l’Opéra de Monte-Carlo fait figure d’exception, qui a pu donner trois représentations de Carmen, au Grimaldi Forum, loin évidemment de sa jauge maximale. Les efforts de son directeur Jean-Louis Grinda, organisant un protocole sanitaire renforcé, soumettant l’équipe à des tests réguliers et fléchant des parcours différenciés, ont payé.

Le spectacle – signé par Jean-Louis Grinda lui-même –, bien plus mordant et rude qu’au Théâtre du Capitole de Toulouse, en avril 2018 (voir O. M. n° 139 p. 69 de mai), est à la hauteur de la tragédie, qu’il enserre dans un décor noyé de rouge et d’obscurité, pièces métalliques figurant une arène et broyant méthodiquement les protagonistes. Lors de sa création, la violence paraissait convenue : elle éclate ici à chaque instant.

Aude Extrémo maîtrise toutes les facettes de Carmen, qu’elle joue avec une énergie suicidaire, désinvolte, aguicheuse, brutale, dédaigneuse, sensuelle. À l’évidence, cette « -zingara » ne se laissera jamais apprivoiser. La voix embrasse les couleurs du rôle, avec des graves amples et chaleureux, des accents de raucité, pour traduire l’animalité de Carmen, et des aigus aériens, pour mieux rappeler son infinie liberté.

Enfant du pays – il a fait partie des Petits Chanteurs de Monaco –, Jean-François Borras est un Don José d’exception : diction, ligne, puissance… Tout contribue à une incarnation de très haut niveau. S’y ajoute un acteur pleinement engagé, qui alterne brutalité insaisissable, par accès brusques et violents, et douleur implorante de l’amant ignoré.

Loin d’un Escamillo hâbleur et tonitruant, Adrian Sampetrean campe un toréador sûr de lui-même, assez pour être conquérant sans être outrecuidant. Son personnage s’en trouve en quelque sorte légitimé, plus profond que d’ordinaire. La voix manque un peu de puissance, mais les couleurs sont là.

Déjà saluée à Toulouse, Anaïs Constans démontre à nouveau toute l’étendue de son registre, qu’elle met au service d’une Micaëla noble dans sa pureté, discrète et prévenante, jamais effacée. Dans « Je dis que rien ne m’épouvante », ses aigus piano et l’absence de tout vibrato font merveille.

Le reste de la distribution est également irréprochable, et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo n’est pas en reste, riche en couleurs, en nuances et éclats. À la tête de cette formation en grande forme, Frédéric Chaslin ordonne une lecture inspirée, vive, à l’image du plateau qu’il sert sans s’effacer. Seule réserve : le Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III sonne un peu terne. La timidité, peut-être ?

Il est vrai que jouer devant un public, après des semaines, des mois d’attente, n’a rien d’évident. Ce petit miracle s’est doublé d’une grande soirée d’opéra. Les applaudissements disent tous : merci.

JEAN-MARC PROUST

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