Teatro alla Scala, 7 décembre

Au pupitre de cette nouvelle production d’Attila, en ouverture de la saison 2018-2019 de la Scala, Riccardo Chailly démontre qu’il connaît à la perfection les principes d’exécution du Verdi de jeunesse et qu’il les applique avec rigueur. La flexibilité rythmique et dynamique est ainsi au rendez-vous, à l’instar des indispensables -micro-variations dans les reprises des cabalettes, qui concernent aussi bien la partie orchestrale que vocale.

À ces atouts, le directeur musical de la maison ajoute un souci extrêmement poussé des détails instrumentaux, qu’il veille à faire émerger de la fosse avec netteté, grâce à des tempi laissant à la musique le temps de respirer et à un volume sonore constamment tenu sous contrôle. Bref, une lecture exemplaire, aux antipodes du Verdi sommaire et fracassant que tant de chefs continuent à privilégier dans les opéras des « années de galère ».

Si, dans Attila, les formes musicales demeurent prévisibles, l’ouvrage se distingue par une authentique caractérisation des personnages, traités par le compositeur comme des êtres de chair et de sang. La basse distribuée dans le rôle-titre se doit ainsi de traduire toutes les facettes du roi des Huns, sa force comme sa fragilité, ses certitudes comme ses doutes.

Sur ce plan, Ildar Abdrazakov ne connaît aucun rival aujourd’hui. Avec son timbre velouté et son émission soignée, il brosse le portrait d’un Attila plus pathétique que brutal. Sa grande scène du premier acte (« Uldino ! Uldin !… Mentre gonfiarsi l’anima ») constitue le point culminant de son incarnation, conduite avec un sens bouleversant de l’introspection, un phrasé merveilleusement suggestif et une palette de nuances ne dépassant quasiment jamais le mezzo forte. Quant à la cabalette qui suit (« Oltre a quel limite »), elle produit l’effet attendu, nonobstant un volume vocal relativement réduit.

Saioa Hernandez possède une bonne voix, qu’elle tend à forcer pour passer la rampe dans le vaste espace de la Scala. En découlent quelques difficultés dans les pianissimi aigus et les traits de virtuosité d’Odabella, confrontée notamment à un air d’entrée hérissé d’embûches. Le phrasé n’en témoigne pas moins de beaux raffinements, et la présence scénique rend justice au caractère fier et indomptable de l’héroïne.

George Petean franchit sans problème les écueils d’Ezio, même si le timbre manque de charme et si l’accent authentiquement verdien fait défaut. On se demande également pourquoi le chef l’a autorisé à conclure la cabalette « È gettata la mia sorte » sur un si bémol aigu non écrit par Verdi, qui peut à la rigueur se justifier quand il est correctement émis, mais qui tourne ici au cri étranglé.

Davantage enclin à nuancer qu’à l’ordinaire, Fabio Sartori accumule malheureusement les scories dans son chant : intonation pas toujours impeccable ; aigus tantôt claironnants, tantôt émis en arrière… Il s’y ajoute une maladresse scénique difficilement défendable. Au bilan, un Foresto tout juste acceptable dans un contexte aussi prestigieux que la production d’ouverture de la saison milanaise – signalons que Riccardo Chailly, au début de l’acte III, a préféré à l’air de la version originale (« Che non avrebbe il misero »), la romance « Oh dolore ! », écrite par Verdi pour le ténor Napoleone Moriani et introduite précisément à la Scala, en 1846.

Les comprimari et les chœurs sont irréprochables, dans une mise en scène de Davide Livermore qui transpose l’intrigue dans les années 1940. Sur fond de ciel plombé et de ville en partie détruite par la guerre, le plateau est dominé par un énorme pont de pierre et de fer, qui se brise pendant le Prologue, au moment où Attila refuse le pacte proposé par Ezio (« Avrai tu l’universo, resti l’Italia a me »).

Visuellement, on pense plus d’une fois au cinéma néoréaliste italien, même si, à l’acte I, apparaît, en projection, un spectaculaire « tableau vivant », inspiré par la célèbre fresque de Raphaël représentant la rencontre entre Attila et le pape Léon. La suite est riche en références cinématographiques (Les Damnés de Luchino Visconti, Portier de nuit de Liliana Cavani), évoquant toutes le XXe siècle décadent et dystopique auquel Davide Livermore associe Attila.

Ceci posé, par-delà la transposition de l’intrigue, la production demeure de facture résolument traditionnelle. Dans un cadre aussi fastueux que coûteux, Davide Livermore règle une direction d’acteurs soignée, mais de bout en bout prévisible, sans chercher à explorer des angles d’interprétation inédits. L’illustration est certes grandiose, mais elle reste une illustration.

PAOLO DI FELICE

PHOTO : © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA/AMISANO

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