Adriana Lecouvreur, Andrea Chénier, Madama Butterfly, Turandot, Pagliacci, La Wally, Mefistofele, La Gioconda, Tosca, Manon Lescaut Yusif Eyvazov (ténor) Coro e Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano

1 CD Deutsche Grammophon 479 5015

Comment ne pas succomber ? Depuis que nous l’avons entendue pour la première fois, nous sommes convaincus que, dans l’opéra italien, le territoire d’élection d’Anna Netrebko se situe davantage du côté de Puccini, Cilea, Giordano et Leoncavallo que de Bellini, Donizetti et Verdi. Ce nouveau récital, intitulé Verismo (étiquette commode, mais bien peu pertinente pour ranger tous les titres non verdiens nés dans la Péninsule entre 1860 et 1940), en apporte la confirmation éclatante.

Le timbre, d’abord, plus velouté et capiteux que jamais, pare d’une irrésistible séduction les longues phrases de Liù, Cio-Cio-San, Tosca ou Manon Lescaut, comme c’était jadis le cas avec Renata Tebaldi, Leontyne Price ou Mirella Freni. La sensibilité de l’interprète, ensuite, reposant sur la sensualité et l’abandon, sert tout naturellement le profil vocal et psychologique de ces héroïnes, là où Lucia, Elvira d’I puritani ou Leonora d’Il trovatore exigent de la soprano russo-autrichienne davantage d’efforts (d’ailleurs inégalement dispensés d’un soir sur l’autre).

Pour cet enregistrement de studio, réalisé en trois fois (juillet et octobre 2015, juin 2016), Anna Netrebko aurait pu se reposer sur de tels atouts et léguer un récital simplement réussi. Ce qui le rend exceptionnel, c’est le travail effectué sur la diction, sur la couleur et la musique des mots, en tout point comparable à celui effectué à Rome, en 2014, pour ses débuts dans Manon Lescaut, sous la houlette de Riccardo Muti.

Anna Netrebko, en effet, a impérativement besoin d’un mentor pour offrir le meilleur d’elle-même, quelqu’un qui la discipline et l’empêche de transformer le texte en bouillie et de piétiner la valeur des notes. Dirigeant un orchestre aussi précis, aux sonorités aussi enivrantes que dans le récital Nessun dorma : The Puccini Album de Jonas Kaufmann, l’an dernier (Sony Classical), Antonio Pappano est l’homme de la situation : l’osmose qui s’opère entre la soprano et lui tient du miracle.

Chaque plage est à marquer d’une pierre blanche, dans des pages pourtant rabâchées : un « La mamma morta » et un « Suicidio ! » au grave émis sans aucun artifice, ni vulgarité ; un « Un bel di vedremo » attaqué comme dans un rêve et conclu sur un si bémol fortissimo d’un rayonnement sidérant ; un « Vissi d’arte » d’une sincérité d’autant plus touchante que, derrière la diva soignant son phrasé et ses diminuendi, on entend la jeune femme complètement dépassée par les événements…

Car Anna Netrebko veille à différencier chacune des héroïnes, en réussissant à alléger sa voix d’opulent lirico spinto pour rendre justice aux ornements post-belcantistes de « L’altra notte » (Mefistofele) et « Stridono lassù » (Pagliacci). Elle réussit même l’exploit d’être aussi crédible en Liù qu’en Turandot, laissant transparaître, dans un « In questa reggia » couronné d’un contre-ut d’une arrogance et d’une plénitude stupéfiantes, la petite fille terrorisée qui se dissimule derrière la princesse de glace aux pulsions sanguinaires.

Certes, Yusif Eyvazov, son époux à la ville, est un ténor au timbre d’une laideur rédhibitoire dans l’acte IV intégral de Manon Lescaut, qui sert de conclusion à l’album. Mais la diva, l’orchestre et le chef sont dans un tel état de grâce qu’on finit par ne plus y faire attention.

RICHARD MARTET

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