© MILAGRO ELSTAK

Actuellement à Madrid, pour diriger une reprise de Siegfried, dans la mise en scène de Robert Carsen, dont les représentations s’étalent jusqu’au 14 mars, le chef espagnol, « principal chef invité » du Teatro Real, prépare d’ores et déjà sa prochaine apparition en fosse : L’incoronazione di Poppea, au Staatsoper de Vienne, à partir du 22 mai. Parallèlement, sa discographie symphonique s’enrichit : Le Sacre du printemps, le 9 avril, puis une intégrale des Symphonies de Schumann, le 18 juin, chez Harmonia Mundi. Une actualité qui donne à Pablo Heras-Casado l’occasion de faire le point sur la vie dans les théâtres lyriques en pleine crise sanitaire et de délivrer un message d’espoir, tout en ouvrant de passionnantes réflexions sur la manière d’aborder des compositeurs a priori aussi éloignés l’un de l’autre que Wagner et Monteverdi.

Vous répétez en ce moment (1), au Teatro Real de Madrid, une production de Siegfried qui sera présentée en public, alors que la quasi-totalité des maisons d’opéra sont fermées, ou ne jouent qu’à huis clos. Vous sentez-vous privilégié ?

Absolument, et de quelle manière ! Fermer les théâtres est sans doute, pour les gouvernements, la solution la plus rapide, et la plus confortable, mais aussi la plus dangereuse. Car il ne s’agit pas simplement d’interrompre des répétitions ou d’annuler quelques spectacles, mais de mettre à l’arrêt toute la machine – reprendre l’activité n’en devient alors que plus compliqué. Donner à penser que nous pouvons vivre sans la culture n’est pas le bon message à envoyer au monde entier. Ici, au Teatro Real, nous nous sentons privilégiés – non seulement moi, mais aussi tous les artistes venus d’Allemagne, d’Autriche, du Royaume-Uni. Et nous sommes très conscients de pouvoir travailler grâce à la rigueur avec laquelle ont été prises les mesures nécessaires à ce que tout fonctionne sur le plan sanitaire. C’est pourquoi nous devons nous battre pour chaque jour passé dans le théâtre !

Ce protocole sanitaire très strict vous impose, en particulier, de diriger derrière un écran de plexiglas. Votre expérience de l’échange avec les musiciens de l’orchestre et les chanteurs en est-elle modifiée ?

Ce ne sont évidemment pas des conditions idéales. Mais l’acoustique, la disposition changeaient déjà d’un théâtre à l’autre. Dans un tel contexte, je ne pense pas aux difficultés, mais à la chance que nous avons de pouvoir faire de la musique, et je m’adapte immédiatement. Ce n’est que pour les répétitions « scène-orchestre » que les chanteurs se permettront d’ôter leur masque. Et le protocole sanitaire, que nous suivons de façon très scrupuleuse, impose une distance d’un mètre et demi entre les musiciens. Une plus grande proximité est toujours préférable, mais nous nous y sommes habitués, au cours des derniers mois. Par ailleurs, Siegfried exige un effectif gigantesque, et nous avons respecté l’instrumentation originale de Wagner, y compris les six harpes. Elles seront placées, avec la petite percussion, dans une loge au-dessus de la fosse, de même que les trombones et les trompettes, mais de l’autre côté. Du point de vue du résultat sonore, cela n’aura aucune incidence pour le public.

Les artistes vous paraissent-ils plus enthousiastes et motivés du fait de ce contexte particulier ?

Dans des conditions normales, une production de Siegfried est déjà un vrai défi, et cela l’est encore plus ici. Je sens, tant de la part des chanteurs et des musiciens que de la technique, une énergie très positive !

Die Walküre a été présentée, l’an dernier, en février, juste avant le confinement. Avez-vous craint que Siegfried ne puisse pas être joué ?

En toute franchise, je n’ai pas eu le moindre doute. Je connais très bien le Teatro Real, sa présidence, son administration, et Joan Matabosch, son directeur artistique. La maison a été fermée pendant trois mois, mais tous ont travaillé d’arrache-pied pour trouver une solution, et elle a été l’une des premières à rouvrir ses portes au public. Dès lors, j’ai su que ce Siegfried aurait lieu – peut-être avec un orchestre réduit –, et que rien, hormis un confinement strict décidé par le gouvernement, ne pourrait l’empêcher. Il faut être prêt pour chaque situation, mais sans doute vaut-il mieux ne pas trop y penser, et se battre pour que la musique et l’art restent toujours vivants. Que nous ayons la chance d’avoir un public, ou que des caméras retransmettent les concerts, notre motivation doit rester la même.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 170

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