Manon à l’Opéra-Comique (2019). © STEFAN BRION

Confinée chez elle, la soprano française a accepté de répondre aux questions d’Opéra Magazine, au lendemain de la sortie de son nouveau récital, L’Amour, la Mort, la Mer, chez Sony Classical. L’occasion, pour Patricia Petibon, de faire le point, après vingt-cinq années de carrière, sur ses aspirations, ses passions, ses rêves et, bien sûr, ses projets. Michel Franck, le directeur général du Théâtre des Champs-Élysées, lui offre deux magnifiques prises de rôles, la saison prochaine, avec ses deux metteurs en scène préférés : Salome, du 14 au 24 novembre 2020, avec Krzysztof Warlikowski ; puis Elle dans La Voix humaine, du 6 au 14 mars 2021, avec Olivier Py. Le dernier opéra de Poulenc sera couplé avec une création de Thierry Escaich, Point d’orgue, à la fois suite et miroir du monologue, où Elle renouera le dialogue avec Lui.

Inévitablement, je dois vous demander comment vous vivez le confinement auquel doit se conformer le pays, pendant cette période d’épidémie (1)…

Sur bien des plans, c’est une expérience étrange. Mais le confinement est depuis longtemps dans l’imaginaire des artistes, qui le choisissent comme une voie particulière, un chemin à emprunter. En ce qui me concerne, j’ai toujours voulu m’immerger dans un univers de beauté qui donne du sens à la vie et permet de grandir à travers les épreuves. La culture est fondamentale pour nourrir l’esprit. L’important, c’est d’être dans la transmission, de répondre à l’appel de quelque chose qui pourrait nous transcender, nous donner les moyens de faire face à une société qui impose une pensée de masse.

Est-ce une voie dans laquelle vous vous êtes engagée très jeune ?

Oui. Ma famille m’a aidée à comprendre que l’accès à la connaissance était un acte de résistance. Enfant, ce qui m’intéressait, c’était le cosmos, chercher comment s’élever en se concentrant sur l’essentiel. L’art m’a apporté la réponse : la musique, mais aussi le dessin ; j’ai d’ailleurs hésité entre les deux. Cela permet de se positionner dans une perspective de transmission. C’est très important, car le monde a besoin de sortir des attitudes égocentrées et égocentriques.

Trouvez-vous donc que bien des choses ne vont plus dans le monde actuel ?

Certes, et depuis longtemps. Peut-être que ce confinement va nous faire devenir plus adultes, nous forcer à ouvrir les yeux sur ce que raconte la nature, par exemple. Nicolas Hulot et Boris Cyrulnik nous alertent depuis des lustres, mais les écoute-t-on vraiment ? J’ai l’impression que nous nous agitons dans une espèce de jeu vidéo géant… Quel sens cela a-t-il quand tout s’arrête ? Il faut se concentrer sur la pensée. Nous sommes à un moment clé de reconsidération, pour trouver une nouvelle façon de vivre dans le monde d’aujourd’hui. Cela demandera de la patience, de la lenteur, ce que j’appellerais le « temps grec ».

Qu’entendez-vous par là ?

J’ai essayé d’y répondre dans mon disque L’Amour, la Mort, la Mer, récemment sorti chez Sony Classical. J’ai réfléchi à cette idée de lenteur, mais aussi à la part d’héroïsme qu’il peut y avoir dans chaque être humain. Pour les Grecs anciens, les héros étaient ceux qui osaient affronter des horizons nouveaux. Je pense à mes grands-parents qui ont tout quitté pendant la Seconde Guerre mondiale, et se sont reconstruits ailleurs.

Les métiers artistiques sont durement touchés par les événements pénibles que traverse le monde…

En ce qui me concerne, je n’ai pas le droit de me plaindre. Mais je pense à tous ceux qui sont dans la précarité, comme les jeunes qui débutent, les techniciens, les costumiers, maquilleurs, tous les intermittents. Et, au-delà, aux étudiants, aux soignants, ceux qui nous mettent au monde et nous aident à partir… Je n’ai pas de leçon à donner, mais il faut vivre ; et comme on dit : « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. » Nous devons rester confiants et réalistes.

Croyez-vous que, dans les grandes crises économiques, la culture fasse figure de parent pauvre ?

Je dirais que c’est toute une machine complexe qui est en jeu, et qui tourne autour de l’argent. Il faudrait que les artistes fassent vraiment partie de la société, qu’ils aient des compensations.

Avec de très nombreux collègues, vous avez lancé, sous la forme d’une lettre ouverte, un « cri du cœur » des artistes lyriques. Avez-vous eu l’impression d’être entendus ?

Je l’ignore. Mais les artistes sont comme les musiciens du Titanic, vous savez, ils joueront jusqu’à la fin ! Mais rien n’est possible sans la santé, et là est l’urgence. L’art, c’est ce qui fait notre âme. Il a besoin d’être sauvé, mais face à la santé publique, que faire ? Les artistes viendront en dernier. Je ne suis pas très optimiste quant à la réouverture des salles de spectacles… On ne peut pas demander aux spectateurs d’être masqués et à trois mètres les uns des autres ! Mais peut-être que le lien avec l’image va se développer, pour aboutir à la création de chaînes très spécialisées dans de petits studios, ou d’écrans ; si les conditions sont bonnes et si la qualité est au rendez-vous, pourquoi pas ?

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 162

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