Comptes rendus Le monde de l’Opéra dans la crise
Comptes rendus

Le monde de l’Opéra dans la crise

15/05/2020

Du 24 avril au 7 mai, alors que les annulations de toutes les fins de saison et de presque tous les festivals se succédaient dans le monde, Opéra Magazine a enquêté sur la manière dont les acteurs de l’art lyrique vivaient cette catastrophe sans précédent : directeurs de théâtre, chanteurs, chefs d’orchestre, metteurs en scène, agents artistiques, patrons de maisons de disques… Un récit au quotidien, fait d’angoisses et d’espoirs, d’où se dégage un mot d’ordre : solidarité.

Sans doute n’est-il pas inutile, alors que l’Europe commence à peine à se réveiller de l’hibernation qui lui a été imposée, à la veille du printemps, par la propagation du Covid-19, de revenir quelques semaines en arrière. D’autant que, sous l’effet d’une assignation à résidence que ne motivait aucun crime, la troublante élasticité du temps a parfois semblé métamorphoser ces deux mois en une éternité. Sévèrement touchée, l’Italie du Nord – la Lombardie, en particulier – se barricade dès la fin février. Le 23, la Scala de Milan, symbole de l’art lyrique s’il en est, annonce une suspension de ses activités, à titre de « mesure de précaution dans l’attente des dispositions des autorités compétentes », et ce pour une durée initiale de quinze jours. Le lendemain, la Fenice de Venise, le Regio de Parme, le Teatro Donizetti de Bergame et quelques autres, lui emboîtent le pas.

De ce côté des Alpes, le premier couperet tombe le 9 mars, avec l’interdiction des rassemblements de plus de mille personnes : les grandes salles, soit principalement l’Opéra Bastille, sont contraintes d’annuler leurs représentations – d’abord au compte-gouttes, renouant avec les mauvaises habitudes de la grève contre la réforme des retraites –, tandis que les plus petites, la majorité donc, cherchent à réduire leurs jauges, afin que les spectacles puissent avoir lieu. Mais leurs espoirs sont douchés quatre jours plus tard, quand les rassemblements sont limités à cent personnes, avant que l’annonce du confinement n’oblige les théâtres à fermer leurs portes – en restant prêts, toutefois, à les rouvrir au bout de deux semaines. L’optimisme, alors encore de mise, a, depuis, fait long feu, le rideau étant définitivement retombé sur la saison 2019-2020. Quant à la prochaine…

Fermeture

Début mars, à Montpellier, alors que les répétitions d’une nouvelle production de Falstaff battent leur plein sur la scène de l’Opéra Comédie, l’angoisse commence à s’insinuer au sein de la distribution – et même à sa tête, puisque Bruno Taddia, qui devait incarner le rôle-titre pour la première fois, est italien. « Il ne savait pas s’il allait pouvoir regagner son pays, se souvient Valérie Chevalier, directrice générale de l’Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie. Le jour de la générale, les déclarations d’Édouard Philippe n’ont plus laissé planer le moindre doute : avec deux cents personnes sur le plateau, nous allions devoir fermer. J’ai réuni tout le monde sur scène, et demandé aux chanteurs et musiciens de faire comme si nous n’avions pas entendu le Premier ministre, dans la mesure où l’arrêté n’avait pas encore été publié, et d’accepter de jouer, afin que je puisse considérer cette répétition comme un spectacle, et rémunérer les artistes. Car la question du cas de force majeure s’est tout de suite posée à moi, et je ne voulais laisser personne partir sans rien. Si j’ai dû rapidement annuler Baby Doll et Ariadne auf Naxos, Benjamin Lazar et moi avions encore l’espoir, deux ou trois jours avant l’allocution du président de la République, le 13 avril, de maintenir Pelléas et Mélisande – même en commençant les répétitions mi-mai, en réduisant la jauge, voire sans public… Mais on a beau, dans une situation de crise, afficher un optimiste à tout crin, il faut bien faire les hypothèses les plus pessimistes, soit une fermeture jusqu’à la fin de la saison. Entre-temps, le ministère du Travail a annoncé que nous pourrions avoir recours à l’activité partielle. J’ai également dû commencer à négocier les dédits, directement avec les artistes ou avec leurs agents, avant que le syndicat des théâtres lyriques et des orchestres, Les Forces Musicales, ne s’empare du dossier, notamment en alertant le ministère de la Culture sur le sujet des différents statuts juridiques de nos maisons. Dans le cas de Montpellier, l’association permet une vraie souplesse, et j’ai pu décider d’emblée de rémunérer les artistes de la production en cours, du montant d’une activité partielle, soit 70 %. Pour les établissements en régie directe, cette compétence relève du trésorier-payeur général, qui prend la responsabilité de payer tout le monde ou non, suivant la notion de service fait, inapplicable dans le cas des productions annulées. Heureusement, les collectivités commencent à se positionner, et à Montpellier, toutes les subventions ont été maintenues. Mieux, l’État a déjà versé la sienne, ce qui est primordial pour un établissement en droit privé, comme celui que je dirige. Nous aurions, en effet, pu très vite être confrontés à un problème de trésorerie, et à la catastrophe humaine qui en découle. Nous ne nous sommes donc pas sentis abandonnés, ni par l’État, ni par les collectivités. Nous aurions néanmoins besoin de directives claires quant à la reprise dans des conditions sanitaires acceptables, tant pour le public que pour nos artistes. Je ne vois aucun inconvénient à rouvrir en septembre, avec un maximum de mille personnes dans la salle, mais comment faire travailler un chœur, et un orchestre en fosse ? Respecter une distance physique de trois ou quatre mètres est impossible ! » (1)

Ni cadre, ni références

Les tâtonnements de l’État, ses atermoiements, et les annonces parfois contradictoires – et plus ou moins spectaculaires – des uns et des autres, n’ont certes pas manqué de souligner, parfois jusqu’à l’absurde, une méconnaissance de la réalité du terrain, et notamment du rythme propre à la production lyrique, suscitant des critiques, souvent légitimes, de la part des acteurs du secteur les plus au fait des mécaniques décisionnelles, et de leur impact sur la responsabilité des directeurs d’établissements publics ou assimilés. « Je me garderai bien de donner des leçons aux différents ministères en ce moment, tempère Loïc Lachenal, directeur général de l’Opéra de Rouen Normandie, et président du syndicat professionnel Les Forces Musicales. Cette crise est parfaitement inédite. Personne n’a donc ni cadre, ni références, ni expérience, pour la gérer correctement. Je fais néanmoins partie de ceux qui préfèreraient que le ministère de la Culture nous donne les consignes les plus pessimistes possibles, et nous accompagne dans leur mise en place, pour protéger nos forces vives et la création, pendant ce temps d’arrêt. Si la situation s’améliore, nous reprendrons plus tôt. Mais s’il n’y a, dans la tête de ce fameux comité scientifique, aucun scénario plausible quant à la réouverture des théâtres – comme d’ailleurs des hôtels et des restaurants –, qu’on nous le dise tout de suite ! Notre secteur fonctionne avec des partenaires, et toutes nos maisons coproduisent entre elles. Nous avons pris un tel retard que certaines productions ne verront pas le jour comme prévu – pourront-elles, dès lors, être reprises un an plus tard ? Nos programmations s’en trouveront bouleversées bien plus durablement que sur cette période de confinement. Et pourtant, je ne suis pas encore en mesure de prendre la décision de renoncer au nouveau Tannhäuser qui doit ouvrir, en septembre, la prochaine saison de l’Opéra de Rouen Normandie. Aujourd’hui, à part les déclarations du président de la République, l’annulation de nos représentations et de nos concerts ne repose sur aucune base légale. Comment donner tort à Olivier Py qui, jusqu’au dernier moment, nous a fait comprendre que ce n’était pas à lui d’annuler le Festival d’Avignon ? C’est au cadre sanitaire de s’imposer, et aux autorités de nous dire que nous ne pouvons pas continuer. »

Protection

En tant que président du syndicat Les Forces Musicales, né de la fusion de la Chambre Professionnelle des Directions d’Opéra et du Syndicat National des Orchestres et des Théâtres Lyriques, Loïc Lachenal s’est retrouvé en première ligne face aux pouvoirs publics dans la gestion des réponses que les artistes, traumatisés par l’arrêt brutal de leur activité, attendaient de leurs employeurs. « Nous avons eu le sentiment, avant même l’entrée dans le confinement, que le secteur de la musique allait être très vite et très durement touché, poursuit-il. Les restrictions ont été annoncées concomitamment sur le plan européen, et nous nous sommes rendus compte à quel point notre secteur était interconnecté. Dès que quelque chose se grippe quelque part, des mécanismes de réactions en chaîne se produisent. Nous avons aussi rapidement pris conscience de notre dépendance vis-à-vis de cette course folle qu’est la mobilité des chanteurs, chefs d’orchestre, metteurs en scène, qui passent constamment d’un théâtre à l’autre. Nous savons tous gérer une annulation de temps en temps. Nous avons, pour cela, des solutions, des usages. Cette fois, c’est tout le réseau qui est à l’arrêt, sur un temps long, en Europe et dans le monde. Cette crise dépasse donc largement le cadre de nos habitudes. La première mission [des Forces Musicales] a été de se coordonner, parce que nos adhérents, une fois passé le sentiment d’effroi de la fermeture de nos théâtres, ont exprimé le besoin d’une gestion la plus globale possible. Nous avons tous pensé qu’en faisant jouer sans discernement la clause de force majeure, nous autorisant à ne pas respecter nos engagements, nous allions ajouter à la crise sanitaire une véritable crise sociale. Or, notre secteur ne vaut que par la disponibilité et le talent des artistes. Dès lors, nous avons réussi à obtenir, comme jamais, des arbitrages auprès des autorités, et en premier lieu, l’extension du chômage partiel aux artistes intermittents – ce qui ne s’était jamais produit –, ainsi qu’une forme de neutralisation de la période. Ce sont des dispositifs sur lesquels il faut continuer à travailler, afin qu’ils soient pérennisés, étant donné que l’arrêt dure, et que la reprise va être complexe. Au fil de nos différentes auditions au Parlement, en lien avec le ministère de la Culture, et dernièrement avec le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, nous sommes parvenus à construire un système protégeant à la fois les artistes, les techniciens et nos établissements dans cette phase d’attente, pour qu’ils puissent redémarrer rapidement. Nous n’en regardons pas moins l’avenir avec une inquiétude réelle, dans la mesure où nous dépendons très majoritairement des collectivités territoriales, dont les moyens financiers vont être réduits. Nous devons à présent sortir du confinement, une tâche d’autant plus complexe qu’il faut construire un cadre sanitaire qui permette de remettre les artistes et les techniciens au travail, tout en assurant leur protection, puis, dans un deuxième temps, d’élaborer les conditions d’accueil du public. »

Restrictions

Alors que les préconisations de l’infectiologue François Bricaire pour la réouverture des théâtres ont provoqué un tollé dans la profession, car jugées inapplicables, notamment par Stéphane Lissner, dont la fin de mandat à la tête de l’Opéra National de Paris s’apparente décidément à un chemin de croix, la question du public est bel et bien au cœur des préoccupations. « En plus de quatre siècles d’existence, l’opéra s’est toujours adapté aux circonstances, tente de rassurer Loïc Lachenal. Il faut avoir confiance dans sa capacité de réinvention. Nous avons un public très fidèle, avec une part d’abonnés toujours importante par rapport à d’autres formes de spectacles. Nos maisons ont été nombreuses à rediffuser des captations sur nos sites et les réseaux sociaux, avec, à chaque fois, plusieurs dizaines de milliers de vues. Le public est donc en attente, et au rendez-vous. Sans doute certains d’entre nous n’auront-ils qu’une envie, celle de ressortir, retrouver nos congénères, et manger en terrasse. Mais il va falloir s’habituer à vivre avec un virus qui continue à circuler. Cette situation crée des réactions d’anxiété, parce qu’elle touche à quelque chose d’aussi intime que la peur de la maladie. Toutes les règles que nous devrons mettre en place tournent autour du renforcement des gestes barrières : la distance entre les artistes, qui soufflent et qui chantent, dans la fosse, sur scène. Pour l’opéra dans sa grande forme, beaucoup de questions techniques demeurent. Et à combien de personnes pourrons-nous ouvrir nos théâtres ? Il faut s’attendre à ce que les restrictions durent. Bruno Le Maire a évoqué un an et demi ou deux ans avant le retour à la normale. Et nous avons devant nous des équations à plusieurs inconnues. Les recettes, notamment de billetterie, sont fondamentales pour nos budgets artistiques, et pour nos capacités à lancer des productions. Mais par-delà la question de l’équilibre économique, il existe un véritable enjeu de viabilité artistique : chanter, se produire dans une salle aux deux tiers vide, n’a plus rien à voir. L’opéra doit une part de sa magie à la présence d’un public soudé, fervent, qui attend l’émotion directe de la musique, le frisson de la voix vibrant sur son corps. À qui ce nombre très limité de sièges sera-t-il destiné ? La frustration sera impossible à gérer. » (2)

Solidarité

Frustration, incertitude, angoisse, des mots qui reviennent comme autant de leitmotive, tant dans la bouche des directeurs de théâtre que des artistes. Julie Fuchs, peut-être parce qu’elle avait pris une pause de trois mois, avant d’enchaîner plusieurs prises de rôles dans des maisons prestigieuses, ne le laisse pas trop paraître. Non pas par insouciance, mais plutôt pour imaginer – qui a dit « réenchanter » ? – un avenir censément meilleur, et surtout ne pas passer un temps à certains égards inespéré à se morfondre sur l’annulation de tel ou tel contrat. « Je suis évidemment déçue de ne pas faire mes débuts sous la direction de Riccardo Muti, au Staatsoper de Vienne, en Despina dans Cosi fan tutte, regrette la soprano. Mais ce sont des situations auxquelles les chanteurs sont confrontés. Quand on a une laryngite, on annule un contrat, et ce n’est que partie remise. Au début, j’ai vécu la situation de manière assez sereine, peut-être aussi parce qu’elle a tardé à frapper à ma porte. Nous pensions que la vague allait passer rapidement, et j’ai été assez satisfaite de ne pas être touchée directement par des annulations. Mais, au fur et à mesure, j’ai réalisé que tous mes collègues étaient affectés, à des niveaux différents. Ensuite, j’ai compris que je n’aurais plus rien du tout, au moins jusqu’à cet été. Mais les artistes aussi ont un loyer à payer ! Le plan de déconfinement n’y changera rien, car nous n’avons pas toutes les cartes en main. Il va donc falloir être patient. C’est un grand changement dans la manière d’appréhender ce métier, et je suis triste de voir les théâtres fermés. J’ai peur, également, que nous passions pour superflus. Autant je trouve qu’il est de mon devoir, alors que tant de choses sont à l’arrêt, de ne pas me regarder le nombril, autant je ne suis pas prête à transiger sur la place de la culture dans notre société. J’espère que notre art va continuer à être important, et entendu. »

S’occuper de son fils, ranger sa maison, où elle n’était jamais restée aussi longtemps, écouter de la musique, rentabiliser le temps qu’elle se plaint souvent de ne pas avoir pour préparer ses rôles, c’est le quotidien d’une soprano confinée, qui tient aussi à garder le contact avec le public, via les réseaux sociaux, grâce au hashtag #keepoperaopen. « Avant cette période, j’étais déjà active sur les réseaux sociaux, avec cette initiative que j’avais appelée #operaisopen, rappelle Julie Fuchs. Ce que je peux montrer aujourd’hui de notre art est différent, mais j’essaie de garder la même dynamique, pour que l’opéra reste visible, même s’il me semble très difficile de faire des vidéos musicales, à cause de la mauvaise qualité du son. Je préfère aborder des thématiques qui font découvrir mon quotidien, et ce qu’implique d’être une chanteuse d’opéra, mais aussi des questions un peu plus générales, pour montrer que nous ne sommes pas dans notre bulle, complètement accaparés par nos spécificités. » Échaudée, peut-être, par ses déboires avec le Staatsoper de Hambourg, qui l’avait remerciée à cause de sa grossesse, Julie Fuchs n’a pas hésité à joindre sa voix à celle du collectif Unisson, qui regroupe à ce jour environ deux cents chanteurs français ou domiciliés en France. « Nous avons d’abord été une dizaine, sur un groupe de messagerie, puis vingt, et enfin cent cinquante. L’atmosphère a toujours été très bon enfant sur les productions, mais nous abordons à présent de vraies questions. Qu’une telle situation nous pousse à nous serrer les coudes, à trouver une solidarité, est franchement magnifique ! » (3)

Vigilance

Initiative collective, et revendiquée comme telle – si quelques voix ont résonné avec plus d’intensité que d’autres, il n’y a pas de leader –, Unisson comble assurément un vide dans le paysage artistique français. Sans doute parce que l’association est née de la nécessité de répondre à une urgence concrète, et non sur l’écho chevrotant de rengaines corporatistes aux relents nauséabonds de préférence nationale. « Suite aux premières annulations, nous avons tous commencé à échanger, raconte le baryton Thomas Dolié. Nous nous sommes retrouvés à plus d’une soixantaine, à nous demander ce que nous pouvions faire. Et nous avons décidé de rédiger une lettre ouverte. Le temps que nous l’écrivions, qu’elle fasse consensus, passant de main en main pour que chacun la retouche, nous étions cent cinquante ! La lettre a eu de l’écho, nous avons reçu beaucoup de soutien, et d’autres chanteurs se sont manifestés pour la signer. C’est pour continuer sur cette lancée que l’idée de l’association a germé. Le métier de soliste est, par nature, un peu solitaire. Tout repose sur nos individualités, même si nous nous connaissons tous plus ou moins. Nous avons éprouvé le besoin de confronter nos sentiments, nos expériences. Nous avons d’emblée été frappés par le fait que nous n’étions pas tous dans la même situation, puisque certaines annulations avaient entraîné des compensations, et d’autres non. En grattant un peu, il nous est apparu qu’en fonction de la nature des contrats, des statuts juridiques multiples des théâtres, orchestres et salles de concert, la loi présentait d’énormes différences quant aux obligations des salariés et des employeurs. À partir du moment où nous faisons le même métier, que ce soit avec une association, une régie municipale ou un établissement public de coopération culturelle (EPCC), pourquoi nos conditions de travail, et donc nos protections en cas d’annulation, devraient-elles être aussi différentes ? C’est non seulement pour répondre à ce besoin de clarification et d’homogénéisation, mais aussi pour nous représenter, non en tant qu’individus – c’est le travail des agents –, mais en tant que métier, que la création d’une association s’imposait. Après beaucoup de réflexion, nous avons résumé nos demandes à deux points. D’abord, que le dispositif de chômage partiel, garanti à tous les salariés, soit accessible aux intermittents. Bien que cette décision ait été actée, sa mise en œuvre reste impossible dans de nombreux cas précis, non par la mauvaise volonté des employeurs, mais à cause de problèmes juridiques, notamment en ce qui concerne les structures publiques. Notre inquiétude vient ainsi du fait que le gouvernement a publié une ordonnance excluant certains EPCC en fonction du montant de leurs subventions. Nous demandons donc que, d’une manière ou d’une autre, une indemnité, à peu près équivalente à ce que le chômage partiel offre à tous les salariés, soit garantie aux intermittents. Notre deuxième revendication concerne la mise en place d’une année blanche, pour le calcul des droits à l’intermittence. Tous les ans, à une date différente pour chacun, il faut avoir comptabilisé un certain nombre d’heures pour renouveler ses droits. Ceux-ci sont calculés, non seulement en fonction du nombre d’heures, mais aussi du salaire qui leur est attaché, ce qui permet d’établir un taux. Le problème est que le chômage partiel, dans les cas où il peut s’appliquer, donne des heures, mais à zéro euro, puisque cette indemnité n’est pas soumise à cotisations sociales. C’est donc une double peine, puisque l’année prochaine, nos indemnités pour les périodes seront bien inférieures, voire une triple peine, quand se cumulent la perte de salaire, la baisse des indemnités par la baisse du taux, et la perte totale des droits à l’intermittence par l’impossibilité de faire ses heures. Cette demande concerne particulièrement les intermittents les plus fragiles, les chanteurs en début de carrière, notamment, les solistes des Opéras n’ayant, en général, peu ou pas recours à ce système. Il est donc indispensable de trouver un équilibre pour maintenir une rémunération minimum pour les artistes, afin qu’ils puissent traverser cette crise, qui va être beaucoup plus longue pour nous que pour la plupart des travailleurs, puisque la reprise des spectacles et des concerts ne figure pas parmi les étapes du déconfinement. » (4)

Une de ces revendications, au moins, semble avoir été entendue au sommet de l’État, un Emmanuel Macron aux manches retroussées, exhortant les artistes à « enfourcher le tigre », ayant annoncé, lors de sa visioconférence du 6 mai, une année blanche pour les intermittents. La vigilance n’en reste pas moins de mise, tant qu’aucun texte n’a été publié, et que tous les détails ne sont pas connus.

Pas de baguette magique

Nommée membre d’honneur de l’association Unisson, aux côtés de Jack Lang, Patrick Poivre d’Arvor, Arlette Chabot, Andréa Ferréol et Maryvonne de Saint-Pulgent, Roselyne Bachelot préfère le titre de marraine, sans que sa faconde et son entregent puissent lui tenir lieu de baguette magique. « Je ne suis pas la Fée Clochette, prévient l’ancienne ministre de la Santé, avec une gravité non dépourvue d’ironie. Dès la déclaration de confinement, j’ai réalisé, moi qui assiste en moyenne à cinquante spectacles d’opéra par an, les conséquences dramatiques de la crise pour le secteur. Et j’ai évidemment voulu que cela se sache. Stanislas de Barbeyrac m’a contactée pour me signaler son souhait de lancer un mouvement de mobilisation des artistes lyriques, qui n’avaient pas de structure établie pour les défendre. Je lui ai, bien sûr, accordé mon soutien, tout comme j’ai signé la pétition en ligne, lancée par Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier. À partir du moment où les propositions de l’association Unisson seront plus formalisées, je me ferai un devoir d’appuyer des démarches auprès de Bruno Le Maire, dont on connaît l’amour de la musique, de la même façon que j’ai servi d’intermédiaire auprès de Jack Lang, et de Franck Riester. Je pense, en cette période, aux artistes parvenus au terme de leur parcours, qui espéraient encore compter sur deux ou trois années de carrière, avant de quitter la scène dans des conditions décentes, mais vont se retrouver éjectés de toute activité professionnelle, sans aucun moyen de se retourner. Par ailleurs, il me semble important de soulever la question de la diffusion, par beaucoup de théâtres, de captations, sans qu’aucune rémunération ne soit versée aux interprètes. Autant j’apprécie d’y avoir accès en toute liberté, autant je déplore que les artistes aient seulement le droit de danser devant le buffet ! » (5)

Points d’interrogation

Président de Warner Classics & Erato, et fin connaisseur d’un milieu dont il est l’un des piliers depuis plus de quatre décennies, Alain Lanceron s’inquiète moins des conséquences de la consommation gratuite de la musique que de celles de l’arrêt brutal des ventes physiques, encore prédominantes dans le marché du disque classique en France. « Pour la première fois de notre histoire, explique-t-il, le mois de mars a vu cette tendance s’inverser, au profit du streaming, et même du téléchargement, qui était pourtant en baisse. Le marché français, jusqu’à présent extrêmement qualitatif, et orienté vers la nouveauté, a subitement basculé dans le monde digital, et le répertoire «easy listening» qui lui est associé dans les pays anglo-saxons : les compilations, le «neo-classical» et le «cross-over». C’est particulièrement dommageable pour le domaine vocal, car le streaming n’est pas très favorable au genre lyrique. Cette situation va certainement peser sur ce qui sera enregistré à l’avenir. À l’annonce du confinement, nous sommes partis sur l’hypothèse que nos activités reprendraient normalement vers la mi-mai. Nous avons donc refait nos plannings dans ce sens, tant pour les sorties que pour les enregistrements. Depuis, nous avons dû revoir notre copie quotidiennement. Néanmoins, tout ce qui a été enregistré va, bien sûr, sortir, parfois avec des reports. Ainsi de l’album Magic Mozart de Laurence Equilbey – une anthologie d’airs et d’ensembles, réunissant Sandrine Piau, Jodie Devos, Lea Desandre, Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey et Loïc Félix –, d’abord annoncé pour la fin avril, en lien avec les concerts de juin à La Seine Musicale, et qui, suite à leur report en novembre, paraîtra à l’automne. Le disque de mélodies françaises de Sabine Devieilhe et Alexandre Tharaud, les duos de Rossini, avec Michael Spyres et Lawrence Brownlee, le premier récital de Fatma Said, dont le programme, absolument magique, mêle mélodies espagnoles et chants arabes, l’hommage de Nathalie Stutzmann aux grandes contraltos des XVIIe et XVIIIe siècles, les scènes finales de la «trilogie Tudor» de Donizetti, avec Diana Damrau et les forces de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, dirigées par Antonio Pappano, tous ces projets demeurent au planning de l’automne, tandis que Der Freischütz par Laurence Equilbey, avec Stanislas de Barbeyrac en Max, est décalé à début 2021. Il reste, en revanche, des points d’interrogation, notamment sur les récitals prévus dans les prochains mois. Celui de Philippe Jaroussky – des grands airs d’oratorio – avec l’ensemble Artaserse, qui compte une quinzaine de musiciens, a été reporté en juin, dans l’espoir d’une sortie au moment de la tournée, cet automne, pour peu qu’elle puisse avoir lieu. Lorsque de plus grandes formations sont mobilisées, comme l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, pour le prochain récital de Marianne Crebassa en septembre, je ne peux malheureusement rien garantir à ce jour. Quant à l’enregistrement, à Rome, de la Messa di Gloria de Rossini, avec Antonio Pappano et, entre autres, Federica Lombardi, Lawrence Brownlee et Javier Camarena, il est annulé jusqu’à ce que nous puissions le reprogrammer – sans doute pas avant trois ou quatre saisons. Enfin, mes espoirs de reporter d’avril à fin août l’enregistrement de Roméo et Juliette/La Mort de Cléopâtre de Berlioz, avec Joyce DiDonato, Cyrille Dubois, Nicolas Courjal et l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, sous la direction de John Nelson, se sont envolés : trop dangereux – impossible même – de réunir un orchestre de quatre-vingt-dix musiciens, et de faire venir du Portugal les membres du chœur Gulbenkian. L’achèvement du «cycle Berlioz» d’Erato sera donc reporté : cet enregistrement est désormais reprogrammé en juin 2022, à la place de celui de L’Enfance du Christ, décalé à 2024. Comme vous le voyez, rien n’est simple : nous sommes dans une période de grande incertitude, où ce qui est vrai un jour ne l’est plus le lendemain. C’est dangereux pour notre industrie, à cause de la diminution catastrophique des ventes de disques qui, dès le mois de mars, ont baissé de 50 % – et la chute devrait atteindre 80 % en avril. Mais lorsque les ventes physiques repartiront, jusqu’où le curseur va-t-il remonter ? J’espère que nous allons limiter les dégâts, qui risquent d’être encore plus importants pour les artistes eux-mêmes, et certains théâtres et organisateurs de concerts. Je pense aussi à certains petits labels économiquement fragiles, qui risquent de disparaître. Comme dans une artère commerçante, quand un magasin ferme, c’est toute la rue qui en souffre. » (6)

Évolution des mentalités

Dans l’ombre des artistes sur lesquels ils participent à attirer la lumière, les agents n’en sont pas moins exposés dans cette crise sans précédent. « Petit à petit, nous nous sommes rendus compte que la survie de nos artistes, et par conséquent la nôtre, était menacée, estime Réda Sidi-Boumedine, directeur de RSB Artists, et président de l’Association Européenne des Agents Artistiques (AEAA). Face à nous, les théâtres ne savaient absolument pas comment gérer cette situation catastrophique. Nous avons tous commencé avec nos vieux réflexes, et avons mis un certain temps à comprendre que tous annulaient partout, en même temps, et que personne n’allait y échapper. Nous travaillons dans l’intérêt des artistes, pour qu’ils puissent s’exprimer sur scène dans les meilleures conditions, en étant bien rémunérés, évidemment. Le métier d’agent n’a pas vocation à nous enrichir, mais nous essayons d’en vivre décemment. Sans filet, ni la moindre assurance, nous savons ne pouvoir compter que sur nos trésoreries, comme n’importe quelle entreprise. En temps normal, le plus gros de notre tâche a déjà été effectué, avant que l’artiste ne commence son contrat. Mais, contrairement à lui, qui ne pourra pas se produire à cause de la fermeture des théâtres, et pour lequel nous devons batailler à nouveau, afin qu’il reçoive une compensation, nous sommes dans une situation où nous devons travailler davantage, pour gagner moins. Nous avons d’abord pensé devoir tenir deux ou trois mois, puis six. Avec cette période indéterminée, plus nous sauverons la rémunération de nos artistes, plus nous toucherons nos commissions, du moins en partie. Mais cela ne sera pas suffisant. »

S’il craint que les chanteurs ne deviennent une variable d’ajustement, l’agent, entre autres, de Florian Sempey nourrit l’espoir que ce temps d’arrêt forcé fasse évoluer les mentalités. « Cette crise doit nous pousser à réfléchir à notre profession, et à la coopération dont nous devons faire preuve pour passer les prochains mois, voire les prochaines années, encourage Réda Sidi-Boumedine. Nous devons penser à de nouvelles façons de collaborer tous ensemble, en y mettant plus de respect et de bienveillance qu’actuellement. La situation est suffisamment grave pour que nous travaillions tous à trouver les meilleures solutions pour régler ce qui concerne le court terme, tout en essayant de nous projeter le plus loin possible, avec un vrai sens de la solidarité. » (7)

Prudence, réalisme, réinvention

Directeur du Festival « Castell de Peralada », Oriol Aguilà peut, en tout cas, compter sur le soutien indéfectible de la famille Suqué Mateu, propriétaire des lieux, qui finance la manifestation espagnole, dont l’édition 2020 a été annulée le 6 mai. « Nous sommes longtemps restés optimistes, reconnaît-il. Mais nous devions faire face à trop d’inconnues : la quarantaine, les frontières, les vols internationaux – d’autant que 40 % de notre public vient de l’étranger. Cela aurait été une folie de faire venir un artiste chez nous, alors qu’aucun autre festival européen n’allait avoir lieu. Annuler cette édition 2020 était une question de prudence et de réalisme. Maintenant, nous travaillons activement au cru 2021, en espérant que la situation revienne à la normale. Même si rien ne sera jamais plus comme avant… » (8)

Alain Altinoglu n’a pas attendu que le président de la République ne martèle, lors de sa visioconférence du 6 mai, face à treize artistes triés sur le volet – dont Sabine Devieilhe et Sébastien Daucé –, la nécessité de se réinventer, pour réfléchir à de nouvelles formes. « Je suis devenu docteur ès aspirateur et fer à repasser, plaisante le directeur musical de la Monnaie de Bruxelles. L’opéra est la forme la plus complexe à repenser, mais nous avons différentes possibilités pour refaire de la musique, notamment grâce au streaming. Nous n’avons pas le choix. Certes, j’ai enfin le temps de lire des livres de 600 pages, et je continue à donner des cours à mes élèves du CNSMD de Paris, grâce à Zoom. Mais il est primordial de garder le lien avec l’Orchestre Symphonique de la Monnaie. Nous sommes en train de réfléchir à des projets alternatifs, comme d’enregistrer des vidéos en lieu et place des concerts de musique de chambre du vendredi midi, qui attirent un public assez âgé. Tant les membres du Chœur que de l’Orchestre doivent continuer à travailler, plutôt que d’être chez eux, déprimés, à ne rien faire. Il est tout à fait possible d’imaginer de nouvelles formes, soit en transformant les œuvres existantes, soit en faisant composer des partitions adaptées aux conditions actuelles – pourquoi le Covid-19 n’accoucherait-il pas d’un chef-d’œuvre ? En attendant de revenir à la vie normale, bien sûr, et de retrouver le contact avec le public. » (9)

Le décor est encore sur scène

Pour Mariame Clément, qui répétait au Teatro Real de Madrid la recréation d’Achille in Sciro de Francesco Corselli, tout s’est précipité à quatre jours de la première, programmée le mardi 17 mars. « J’ai été surtout frappée par l’accélération du temps, constate la metteuse en scène. Ce qui n’était, au début des répétitions, le 3 février, que des rumeurs lointaines, est devenu plus pressant, à la fin du mois. Mais le théâtre était optimiste, et voulait continuer. Dans la ville, la marche des femmes du 8 mars a été le tournant désastreux. S’est alors engagée une course contre la montre. L’idée a d’abord été de jouer la première, et de diffuser les représentations suivantes en direct, en streaming. Ensuite, il n’était plus question que de parvenir à filmer quelque chose, par exemple la générale, prévue le dimanche 15, avant que nous ne nous rabattions sur la répétition du samedi 14. Nous nous sommes mis à faire les lumières à 8 h 30. Vers midi, alors que s’amplifiaient les bruits que le gouvernement allait décréter l’état d’urgence, nous avons commencé à recevoir des messages des chanteurs, inquiets pour la suite. À 14 h 30, la direction nous a annoncé que la répétition de l’après-midi aurait bien lieu. Je suis passée chez moi, en me demandant s’il fallait que je fasse ma valise, ou que j’aille à l’aéroport pour trouver un vol. Mais je suis quand même retournée au théâtre, parce qu’il me paraissait impensable de quitter le navire. Nous avons réuni toute l’équipe sur scène, au fur et à mesure que les chanteurs arrivaient pour le maquillage, et la direction a fini par descendre annoncer que, ses espérances minimales étant brisées, tout était annulé. Les adieux ont été assez déchirants, tout le monde est rentré chez soi, et j’ai passé deux heures sur mon canapé comme frappée par la foudre, incapable de faire mes bagages, et ne sachant d’ailleurs pas quand j’allais partir. Le théâtre a pris en main les retours de tout le monde, et j’ai eu un vol le lendemain, à midi. Le décor est encore sur scène aujourd’hui, dans le noir. Arrivée à Paris, j’ai suivi les consignes en cas de retour d’une zone à haut risque, et me suis isolée dans mon bureau pendant douze jours, comme dans un aquarium, dans la mesure où les portes de mon appartement sont vitrées. Je passais du monde clos qu’était notre Achille, que nous avions situé dans une grotte, à une autre bulle. J’ai vécu la même situation qu’après une première, mais sans l’euphorie qui l’accompagne, et de façon extrême, avec un sentiment de fausse couche. L’absence de contact physique avec ma famille a été dur, sans que ce retrait absolu du monde m’ait vraiment déplu. Durant cette période, l’injonction quasiment morale à la culture, qui devient dès lors un instrument d’oppression plutôt que de libération, et à la productivité – apprenez le mandarin, lisez quinze fois À la recherche du temps perdu et L’Homme sans qualités – m’est apparue comme très incongrue. J’ai occupé mon temps à mon rythme, en suivant mon désir, et me suis remise à la broderie – la première chose que j’ai brodée sur un mouchoir était d’ailleurs «Time is too precious to be wasted trying to be productive» («Le temps est trop précieux pour être gaspillé en essayant d’être productif»), qui résumait assez mon état d’esprit. »

Une fois libérée de son bureau, Mariame Clément ne s’est cependant pas remise à réfléchir sur de nouveaux projets. « Se regarder dans le blanc des yeux par visioconférence avec ma scénographe, Julia Hansen, n’aurait pas eu beaucoup de sens. Un directeur d’opéra, pour un projet un peu lointain, mais sur lequel je devrais commencer à réfléchir, m’a proposé d’en discuter par Zoom. Je n’avais rien à lui présenter, mais j’ai senti qu’il y tenait. Nous avons parlé quarante-cinq minutes, et cette conversation a enclenché un processus. Autant le confinement est agréable par certains côtés, autant beaucoup de choses me manquent : voir d’autres personnes, échanger des idées, sortir humer l’air du monde. » (10)

Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI

(1) L’entretien avec Valérie Chevalier a été réalisé le 24 avril.

(2) L’entretien avec Loïc Lachenal a été réalisé le 1er mai.

(3) L’entretien avec Julie Fuchs a été réalisé le 28 avril.

(4) L’entretien avec Thomas Dolié a été réalisé le 28 avril.

(5) L’entretien avec Roselyne Bachelot a été réalisé le 6 mai.

(6) L’entretien avec Alain Lanceron a été réalisé le 29 avril.

(7) L’entretien avec Réda Sidi-Boumedine a été réalisé le 30 avril.

(8) L’entretien avec Oriol Aguilà a été réalisé le 7 mai.

(9) L’entretien avec Alain Altinoglu a été réalisé le 27 avril.

(10) L’entretien avec Mariame Clément a été réalisé le 29 avril.

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