© DECCA CLASSICS

À partir du 22 mars, le spectaculaire ténor mexicain incarne Ernesto dans la reprise de Don Pasquale au Palais Garnier, entouré de Pretty Yende et Michele Pertusi. L’occasion de montrer une autre facette de son talent, après tant d’Almaviva d’Il barbiere di Siviglia, Lindoro de L’Italiana in Algeri ou Ramiro de La Cenerentola aux quatre coins du monde. Car s’il est devenu célèbre grâce à Rossini, Javier Camarena est également un merveilleux interprète de Bellini, Donizetti et Bizet.

Vous êtes partout fêté, entre autres pour la beauté et le brillant de vos suraigus. Et pourtant, sur internet, on trouve une vidéo de vous, il y a vingt ans, en train de vous débattre avec un air de Paisiello. Le chemin a-t-il été long pour parvenir à l’aisance technique que l’on vous connaît ?

Cette vidéo date de 1998 ; j’avais déjà 22 ans, et j’étais dans ma troisième année de chant, mais ma voix était encore à construire : souffle, justesse, place de l’aigu, legato, rien n’était en place, même dans une ariette comme « Nel cor più non mi sento » ! À l’époque, pas un professeur n’aurait misé sur moi, et je les comprends. J’ai mis ce morceau en ligne pour encourager tous ceux qui, entreprenant le dur et long chemin pour devenir chanteur professionnel, sont comme moi en butte aux critiques : « C’est affreux ! Tu n’as aucune voix ! Tu ne feras jamais rien ! » Car au départ, contrairement à d’autres qui ont un instinct vocal, moi je n’étais pas doué : j’avais à peine une octave utilisable, de fa à fa – en dessous, ça ne sonnait pas, et au-dessus, je m’étranglais ! – et je ne savais pas utiliser ma voix, comme le montre ce document. Mais je me suis accroché et j’ai travaillé très dur ; j’ai gagné peu à peu une octave dans l’aigu, et presque autant dans le grave, et j’ai surtout appris à chanter ! En 2004, j’ai remporté le Concours « Carlo Morelli » de Mexico, à la suite duquel j’ai pu faire mes débuts professionnels au Palacio de Bellas Artes. C’est là que j’ai eu mes premiers engagements : Tonio (La Fille du régiment), Nemorino (L’elisir d’amore), Ernesto (Don Pasquale), Belmonte (Die Entführung aus dem Serail)…

Pas encore de Rossini ?

Non, c’est venu plus tard. En 2005, à Barcelone, j’ai gagné le Prix « Juan Oncina » au Concours « Francisco Viñas », à la suite de quoi j’ai été pris à l’Opernstudio de Zurich. Puis je suis entré dans la troupe de l’Opernhaus, et c’est là qu’on m’a proposé mon premier Rossini : Lindoro dans L’Italiana in Algeri. Un rôle très difficile, et si différent de tout ce que j’avais fait jusqu’alors, qu’à partir du moment où j’ai été engagé et celui où je l’ai chanté pour la première fois, en mars 2007, j’ai dû travailler comme un fou pour parvenir à soutenir une tessiture aussi aiguë et faire toutes ces vocalises : un cauchemar ! Mais j’ai eu du succès, et on a continué à me proposer d’autres Rossini, qui est devenu un peu mon compositeur fétiche.

C’est à Zurich que vous avez rencontré Cecilia Bartoli…

En effet. Et, dès 2007, c’est à ses côtés que j’ai participé à mon premier enregistrement : une intégrale de La sonnambula pour Decca, où je chantais la toute petite partie du Notaire. Très grand admirateur de Bartoli, j’arrive pour répéter, m’assois tranquillement dans un coin, quand soudain Cecilia arrive, se présente à moi (comme si je ne l’avais pas reconnue !) et commence à me féliciter pour mon Lindoro de L’Italiana… Le monde à l’envers ! « Il faudrait qu’on chante ensemble sur scène, du Rossini, par exemple ! Quels sont tes autres rôles ? » Moi évidemment, je bafouille. « Le Comte Ory, tu connais ? » Je n’en croyais pas mes oreilles, qu’une telle star puisse me proposer de chanter avec elle ! Mais n’osant pas la contredire, j’ai acquiescé vaguement, et elle m’a dit qu’il fallait y réfléchir. Une fois rentré chez moi, j’ai regardé la partition, dont je ne connaissais pas une note, et j’ai été horrifié de voir dans quoi je m’étais engagé, vu la longueur et la difficulté du rôle-titre ! Mais je me suis dit qu’il fallait saisir cette chance, et là encore, j’ai travaillé d’arrache-pied jusqu’à la première… qui, malgré mes craintes, a finalement très bien marché, dans cette production si amusante de Moshe Leiser et Patrice Caurier, que Decca a immortalisée en DVD. Par la suite, chaque occasion de retravailler avec Cecilia a été un grand bonheur – en particulier Otello de Rossini, où elle incarne une fantastique Desdemona – car, en plus d’être une artiste charismatique, à la voix et à la technique exceptionnelles, c’est une femme très intelligente et tout à fait adorable, sur scène comme dans la vie.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 148

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