Gesler dans Guillaume Tell, au Covent Garden de Londres (2015). © ROH/CLIVE BARDA

Après une année 2018 marquée, entre autres, par ses premiers pas dans les quatre rôles diaboliques des Contes d’Hoffmann, à Monte-Carlo, la basse française poursuit dans cette veine maléfique : retour au Méphisto de Faust, à Marseille, le 10 février, puis à Nice, le 22 mai ; débuts en Bertram dans Robert le Diable, à Bruxelles, le 2 avril ; retrouvailles avec Gesler dans Guillaume Tell, à Orange, le 12 juillet. Un calendrier chargé, pour un artiste qui aime enrichir son répertoire de nouveaux personnages : Filippo II dans Don Carlo, Fiesco dans Simon Boccanegra ou Pimène dans Boris Godounov, ces dernières saisons ; Soliman dans La Reine de Saba, Golaud dans Pelléas et Mélisande, Padre Guardiano dans La forza del destino, Walter dans Luisa Miller et Mefistofele dans un futur proche.

Le Méphisto de Faust, à Marseille, n’est pas tout à fait une prise de rôle…

Non. Je l’avais chanté une fois à Massy, en 2009 ; par la suite, on me l’avait proposé à deux reprises, mais j’avais d’autres projets et l’occasion ne s’était jamais représentée. Cela dit, je n’étais pas pressé ; j’estime qu’alors, je ne possédais pas tous les atouts nécessaires à ce rôle. J’ai dû énormément le retravailler pour cette production marseillaise et cela a été, si je puis dire, comme une seconde première fois. Je vais le reprendre à Nice en mai, ce qui fait qu’en quelques mois, je l’aurai interprété neuf fois ! Ce sont les hasards de notre métier. En revanche, on me demande régulièrement le Méphisto de La Damnation de Faust.

À Marseille et à Nice, la production est la même…

Effectivement ; Nadine Duffaut, qui met en scène, l’a présentée pour la première fois à Avignon, en 2017. Je sais que l’action a été transposée dans les années 1960, mais je ne suis pas inquiet, j’ai déjà travaillé avec Nadine. Nous verrons quand les séances de travail auront commencé (1). J’aime beaucoup la période qui précède les répétitions, lorsque je suis seul chez moi face à ma partition. J’essaie de trouver dans la musique tout ce qui m’aide à cerner mon personnage.

Votre Méphisto, comment le voyez-vous ?

J’ai à mon actif plusieurs personnages diaboliques ; du coup, il m’arrive parfois de voir un diable en moi ! Mon souci, c’est que Méphisto ne soit pas monotone, uniquement axé sur la performance vocale. Gounod et ses librettistes, Barbier et Carré, ne l’ont pas conçu comme s’il était d’une seule pièce, il change souvent d’humeur. J’aime surtout son côté manipulateur. J’ai aussi envie d’essayer de l’humaniser. Ce n’est pas un héros d’opérette, il faut le rendre vraiment diabolique, ce qui n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire ; cela dit, je suis conscient que ce que je ferai ne plaira pas à tout le monde, d’autant que la tradition et les conventions pèsent ici de tout leur poids. J’ai l’œuvre dans l’oreille, je l’ai vue à la scène, j’ai écouté des enregistrements. Mais cela ne me suffit pas, j’ai besoin de trouver dans la partition le plus de nuances possibles pour aboutir à une vision qui me soit propre.

Est-ce ce rapport à la partition qui nourrit votre démarche théâtrale ?

Il est essentiel ! Prenez Filippo II dans Don Carlo. En lisant la musique, on se rend compte que Verdi a multiplié les nuances piano, pianissimo et quelquefois triple piano, pour des passages que l’on entend souvent chantés forte. S’il l’a fait, ce n’est pas pour rien ! Tenir compte des indications de la partition complique la tâche du chanteur, mais comment faire autrement ? Ma volonté est de me montrer le plus scrupuleux possible. Il y a toujours moyen de s’adapter pour ce qui concerne le travail scénique ; musicalement, en revanche, il faut viser la plus grande honnêteté, tout en tenant compte de ses émotions.

Un tel souci peut-il contredire les intentions d’un metteur en scène ?

Je n’ai jamais eu le moindre conflit à ce jour. Je réussis à m’adapter et à trouver un juste milieu. Bien sûr, il m’arrive de m’interroger sur des conceptions très éloignées des miennes, mais si je peux parler avec le metteur en scène, m’exprimer librement, je sais qu’on trouvera des solutions.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 147

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