Créé posthume, le 30 novembre 1903, à la Monnaie de Bruxelles, l’unique opéra d’Ernest Chausson n’est jamais parvenu, en un peu plus d’un siècle, à s’imposer au répertoire. Alors que l’Opéra National de Paris prépare une luxueuse nouvelle production pour la saison 2014-2015, l’Opéra National du Rhin prend les devants, à partir du 14 mars, sous la direction musicale de Jacques Lacombe et dans une mise en scène de Keith Warner. Après une évocation du contexte littéraire et pictural dans lequel Le Roi Arthus a vu le jour, Opéra Magazine rappelle la carrière et la personnalité artistique du créateur du rôle-titre : le baryton-basse Henri Albers.

93_evenement_arthurEn conclusion de la belle biographie qu’il consacre au compositeur du Roi Arthus (Ernest Chausson, Fayard, 1994), Jean Gallois retient qu’il fut « l’une des plus hautes consciences artistiques qui aient été, mais aussi l’un des grands moments de la sensibilité française ». Les mots qui permettent de mieux comprendre sa personnalité et sa musique sont présents dans cette seule phrase : haute conscience, sensibilité. Ils s’imposent à tout auditeur qui découvre aujourd’hui le Poème de l’amour et de la mer, la Symphonie en si bémol ou la Chanson perpétuelle. Par son sujet d’abord, mais aussi à cause des circonstances qui ont accompagné sa gestation, puis sa première représentation, son unique opéra est révélateur d’un moment bien particulier de la culture européenne, à une époque que l’on présente parfois comme une « fin de siècle », mais qui marque surtout un tournant capital vers le monde moderne.
Composé entre 1886 et 1895, Le Roi Arthus a été créé à la Monnaie de Bruxelles, le 30 novembre 1903, le grand peintre symboliste belge Fernand Khnopff (1858-1921) ayant apporté sa contribution à la réalisation des costumes et des décors. Quatre ans auparavant, le 10 juin 1899, Ernest Chausson avait trouvé la mort dans un stupide accident de bicyclette, alors qu’il passait des vacances familiales à Limay, près de Mantes, et c’est Vincent d’Indy qui avait œuvré pour que son « drame lyrique », achevé depuis longtemps déjà, puisse enfin être joué. Le Palais Garnier, pour sa part, attendra 1916… et se contentera d’en présenter le seul acte III, toujours grâce à l’ami d’Indy, cette fois-ci à la tête de l’orchestre de l’Opéra. Paris et Bruxelles – villes auxquelles s’ajoutent, selon les époques, l’Allemagne de Bayreuth et la Toscane – occupent une place de choix dans la géographie intime du compositeur, laissant également entrevoir ce qu’ont pu être ses centres d’intérêt et ses grandes influences.

PASSION POUR LES ARTS ET LES LETTRES

À Paris, où il voit le jour, le 20 janvier 1855, Ernest Chausson bénéficie de tous les avantages que peut apporter une situation financière confortable. De son père, qui a participé aux grands travaux d’aménagement de la capitale sous le Second Empire, il hérite une aisance matérielle qui, toute sa vie, lui permettra de se consacrer entièrement à sa passion pour les arts et les lettres. Ainsi, son hôtel particulier du boulevard de Courcelles devient vite un lieu où se rencontrent régulièrement les personnalités de premier plan, celles qui font bouger les lignes de la peinture, de la musique et de la littérature.
Dans un article d’hommage, publié en août 1899 par La Vogue, « revue mensuelle de littérature, d’art et d’actualité » (dans le même numéro, on trouve un long dossier sur l’affaire Dreyfus), Camille Mauclair décrit avec chaleur cet intérieur de grand bourgeois artiste : « Sa maison était une merveille de goût et d’art. Henry Lerolle l’avait ornée de ses décorations délicates où, parmi les arbres frêles, le geste des jeunes filles est d’une poésie si pénétrante. C’était un musée où les Odilon Redon et les Degas voisinaient avec les Besnard, les Puvis et les Carrière. Chausson vivait là entre les hautes tentures closes, les pianos, les ameublements sobres, les partitions et les livres. Sa famille nombreuse réunissait à sa table un petit peuple gracieux d’enfants et de jeunes femmes, avec quelques hommes intelligents dont chacun avait sa distinction et son œuvre. »

DE LIVRES EN TABLEAUX

Dans son ouvrage de référence (op. cit.), Jean Gallois donne des indications précieuses sur ce qu’étaient la bibliothèque personnelle et la collection de tableaux de cet homme de très grande culture, qui, à lui seul, pouvait résumer certaines aspirations parmi les plus élevées de son temps. Classiques et modernes, souvent dans des éditions rares, sont présents dans le champ de ses lectures, avec une ouverture notable vers le Moyen Âge et les littératures étrangères (d’Ibsen à Confucius !). Il en va de même pour les partitions et les ouvrages de musique. Quant à la peinture proprement dite, on reste admiratif devant la pertinence de choix qui, à côté de nombreuses estampes japonaises, si prisées en cette période d’ouverture sur le monde, retiennent aussi Eugène Delacroix, Edgar Degas, Auguste Renoir, Édouard Manet, Berthe Morisot, Eugène Carrière (plusieurs portraits de famille), Paul Signac ou Édouard Vuillard. Se retrouvent là certains noms ayant participé à la « révolution » impressionniste, ainsi que d’autres qui, chronologiquement, sont venus plus tard dans le voisinage du mouvement symboliste.
Injustement oublié de nos jours – même si, en 2012, l’exposition Debussy, la musique et les arts, organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie, lui a redonné une place –, Henry Lerolle (1848-1929) compte parmi les peintres en vogue autour de 1900. Il bénéficie alors de plusieurs commandes importantes (Hôtel de Ville de Paris, Sorbonne…), expose régulièrement au Salon et joue un rôle mondain essentiel au sein de l’intelligentsia ­parisienne, en découvrant des talents nouveaux ou en réunissant chez lui un aréopage choisi. Plus qu’un simple beau-frère (leurs épouses sont sœurs), il est pour Chausson un véritable ami. Ni l’un ni l’autre ne sont à proprement parler des révolutionnaires, ce qui ne les empêche pas d’être réceptifs aux propositions de certaines avant-gardes.

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