Faust au Metropolitan Opera de New York ©  MARTY SOHL/METROPOLITAN OPERA
Faust au Metropolitan Opera de New York (2005)  © MARTY SOHL/METROPOLITAN OPERA

Fidèle aux Chorégies d’Orange depuis plus de vingt ans, le ténor français y retrouve Manrico dans Il trovatore, les 1er et 4 août, huit ans après son triomphe dans le rôle au Théâtre Antique. Un retour qui fait suite à un premier semestre 2015 marqué par deux somptueuses incarnations à l’Opéra National de Paris : Rodrigue dans Le Cid, puis Lancelot dans Le Roi Arthus. On attend maintenant avec impatience ses débuts dans Vasco de Gama de Meyerbeer et La Juive d’Halévy, respectivement à Berlin et Munich, au cours de la saison 2015-2016.

Vous êtes un fidèle des Chorégies d’Orange…

Mon attachement à ce festival vient du lieu, et des spectateurs qui m’ont toujours accueilli chaleureusement. Mais c’est avant tout une fidélité à l’égard de Raymond Duffaut, auquel cette manifestation doit son succès. Ce n’est pas évident de remplir un amphithéâtre aussi vaste que le Théâtre Antique, et Raymond réussit chaque été à rassembler un public large et passionné. Certains lui reprochent une programmation jouant la carte de la sécurité, mais par les temps qui courent, comment voulez-vous faire autrement ? Les Chorégies représentent une lourde charge artistique, mais aussi financière !

Dans quelles conditions le travail s’y déroule-t-il ?

Il exige une forme physique optimale. Nous répétons tous les jours, tout se fait d’affilée, jusqu’au soir de la première, et nous ne devons pas céder à la fatigue. Il faut aussi compter avec le climat, et je vous assure que lorsque le mistral s’en mêle, nous ne sommes pas à la fête ! L’acoustique est réputée exceptionnelle, mais il faut quand même chanter sans le recours à la moindre amplification. Beaucoup de mes collègues m’ont dit qu’ils craignaient moins les Arènes de Vérone que le Théâtre Antique.

Vous avez effectué là-bas plusieurs prises de rôles.

En effet : Calaf dans Turandot, l’Otello de Verdi… On oublie que lorsque nous arrivons à Orange, nous avons déjà derrière nous une longue saison ; pour ma part, pendant l’année, je me produis environ une fois tous les trois jours, ce qui veut dire que je dois tout faire pour conserver ma forme physique. Cela dit, je pense qu’à mon âge, je vais commencer à lever le pied et à profiter de ma vie privée. Trop travailler empêche de vivre, or je veux vivre, être un mari et un père.

Cet été, vous revenez devant le fameux Mur avec Manrico ; est-ce un personnage que vous affectionnez particulièrement ?

Il trovatore est un opéra magnifique, un très grand Verdi. Et Manrico me touche parce que, pour moi, c’est un héros fragile, qui a un problème d’identité. Même s’il éprouve une réelle affection pour Azucena, qui l’a élevé, il sent bien, tout au fond de lui, qu’il n’est pas un gitan, qu’il est déchiré entre deux mondes. C’est quelque chose que j’ai moi-même profondément ressenti dans ma jeunesse : toute ma famille vient de Sicile, tous ont vu le jour là-bas, sauf moi ; je suis le premier à être né en France. Cette déchirure intérieure dont souffre Manrico, quelque part c’est un peu la mienne, celle de tous les enfants d’immigrés. Je vois aussi en lui un côté mystique ; il entend sûrement cette voix qui lui dit de ne pas tuer Luna, même s’il ne comprend pas pourquoi, puisqu’il ignore que c’est son frère.

Votre parcours verdien semble avoir été très strictement balisé.

Il a été logique, et sans précipitation. Le Duc de Mantoue (Rigoletto), Alfredo Germont (La -traviata), Don Carlos dans les versions française et italienne, Gabriele Adorno (Simon Boccanegra), sans oublier le Requiem, qui est un ouvrage très opératique. Tout cela jusqu’à Otello. J’aurais bien aimé chanter davantage certains rôles, Don Carlos par exemple, mais chaque fois qu’on me le demandait, je n’étais pas libre. C’est malheureusement une chose qui se produit souvent ; en ce moment, on me propose des Otello, des Calaf, et je ne peux pas faire face à toutes ces offres.

Avez-vous développé un plan de carrière ?

Absolument pas. Je n’ai jamais appelé un théâtre pour dire : « Je voudrais chanter tel ou tel rôle » ; on me contacte, je réponds « oui » ou « non », c’est aussi simple que ça. Bien sûr, j’ai manqué des occasions ; j’aurais aimé aborder Arnold dans Guillaume Tell, par exemple, mais personne n’a pensé à moi. Il est vrai que lorsque j’ai commencé à être connu, il n’y avait pas pénurie de ténors : ils étaient nombreux, et pas n’importe lesquels ! Pavarotti, Domingo, Aragall, Kraus… Pourquoi serait-on venu me chercher ?

Est-ce à dire que vous avez eu du mal à trouver votre identité « lyrique » ?

Les gens aiment bien les catégories, y compris les directeurs de théâtre. Compte tenu de mes origines, j’ai été tout de suite classé parmi les « ténors italiens » et l’on ne m’engageait pas pour des rôles français, alors que je le désirais vivement. C’est Nicolas Joel qui m’a donné ma chance en me proposant le Roméo de Gounod, à Toulouse. Mais conséquence, j’ai ensuite été catalogué « ténor français » et l’on ne me parlait plus que de ma diction !

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