Zoroastre, Dardanus, Castor et Pollux, Hippolyte et Aricie, Les Surprises de l’Amour, Les Boréades, Iphigénie en Tauride, Armide, Orphée et Eurydice

Emmanuelle de Negri (dessus) – Sylvie Brunet-Grupposo (bas-dessus) – Reinoud Van Mechelen (haute-contre) – Stanislas de Barbeyrac, Mathias Vidal (tailles) – Thomas Dolié (basse-taille) – Nicolas Courjal (basse) Pygmalion, dir. Raphaël Pichon

1 CD Harmonia Mundi HMM 902288

Nous sommes à l’époque des disques « intelligents » ; un récital se doit aujourd’hui d’avoir un fil conducteur. Dans cet enregistrement de studio, réalisé en décembre 2016, Raphaël Pichon s’est voulu plus original encore : au thème des Enfers, il a joint un hommage à Henri Larrivée (1737-1802), célèbre basse-taille – le terme de baryton, en tant que catégorie vocale, n’apparut qu’à la fin du XVIIIe siècle.

Réputé dans Rameau (il fut le premier Apollon des Surprises de l’Amour et chanta aussi Thésée dans Hippolyte et Aricie, ainsi qu’Anténor dans Dardanus), remarqué dans des créations de Piccinni (le rôle-titre de Roland, Oreste dans Iphigénie en Tauride), Salieri (Danaüs des Danaïdes), Grétry (Céphale dans Céphale et Procris), Larrivée demeure avant tout, dans l’histoire de la musique, un interprète privilégié de Gluck. Il contribua ainsi au triomphe d’Iphigénie en Aulide (Agamemnon), d’Alceste (Hercule) et d’Iphigénie en Tauride (Oreste).

Quel endroit peut mieux enflammer l’imagination que les Enfers ? Lieu de terreur et d’épouvante, mais lieu irrésistiblement pittoresque, surtout à l’époque où l’opéra « à machines » éblouissait les yeux des Parisiens, ravis par le luxe des décors et des costumes. Lieu prétexte, aussi, à une réflexion sur la notion rhétorique de sublime, entre « terrible effroi » et « doux enchantement » – termes que rappelle Xavier Bisaro dans l’un des textes de présentation de l’album –, mais, plus encore, à une confrontation intellectuelle et spirituelle avec le mystère insondable de la mort.

Un chanteur, un cadre mythique, des compositeurs inspirés par le monde infernal souterrain pour les unir, et un programme conçu comme une messe des morts après que Thomas Leconte, musicologue attaché au Centre de Musique Baroque de Versailles, a fait connaître à Raphaël Pichon un Requiem anonyme, parodiant (au sens de utilisant) des extraits de Castor et Pollux et des Fêtes de Paphos : l’idée peut paraître d’une ambition démesurée, mais elle aboutit à un disque captivant.

Comment trouver des mots pour qualifier les musiques choisies, venues de Rameau et de Gluck ? Pichon et ses complices confèrent à chaque air ses contrastes et ses couleurs, à chaque phrasé ses tensions, des angoisses et terreurs du début – évoquées, entre autres, par le « Chaos » des Élémens, de Jean-Féry Rebel – à l’apaisement final, apporté par le « Ballet des Ombres heureuses » d’Orphée et Eurydice et l’« Entrée de Polymnie » des Boréades. Des pages sombres, dramatiques, magnifiées par une vision théâtrale qui empoigne l’auditeur pour ne plus le lâcher (le chœur est un modèle de finesse et d’homogénéité).

Faut-il encore vanter les qualités de Stéphane Degout ? La beauté de la voix, le métal somptueux du timbre, la souplesse de l’élocution, la clarté de la diction, la noblesse de la déclamation, la musicalité qui illumine chaque mot : n’est-on pas là près de la perfection ?

Autour de lui, une fine équipe francophone, sympathique « Salut les copains » baroque. Et, pour un air de Phèdre d’Hippolyte et Aricie, Sylvie Brunet-Grupposo, impériale, majestueuse – si vous résistez à ce « Quelle plainte en ces lieux m’appelle ? » ou à toutes les interventions de Stéphane Degout, votre cas est désespéré !

MICHEL PAROUTY

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