Opéra, 16 mars

PHOTO © BERTRAND STOFLETH

Sabina Puertolas (La Princesse Eudoxie)
Rachel Harnisch (Rachel)
Nikolai Schukoff (Éléazar)
Roberto Scandiuzzi (Le Cardinal de Brogni)
Enea Scala (Léopold)
Vincent Le Texier (Ruggiero)
Charles Rice (Albert)

Daniele Rustioni (dm)
Olivier Py (ms)
Pierre-André Weitz (dc)
Bertrand Killy (l)

Pour son festival annuel, intitulé cette saison « Pour l’humanité », l’Opéra de Lyon a choisi de proposer, en plus de la création mondiale de Benjamin, dernière nuit de Michel Tabachnik (voir plus loin), une nouvelle production de La Juive, en collaboration avec Opera Australia.

Pour qui connaît le travail d’Olivier Py et Pierre-André Weitz, en particulier sur l’opéra français (Hamlet à Vienne et Bruxelles, Les Huguenots à Bruxelles et Strasbourg, Dialogues des Carmélites au Théâtre des Champs-Élysées, Pénélope à Strasbourg et Mulhouse), mise en scène, décor et costumes ne réservent aucune surprise.

Le décor, d’abord : une volée de marches conduisant à un dispositif tournant, dont la rotation permet d’illustrer les différents lieux de l’intrigue (une paroi percée d’une fenêtre pour la maison d’Éléazar, puis une bibliothèque aux étagères garnies de livres, un deuxième escalier prolongeant le premier…), avec, à l’arrière-plan, la projection de troncs d’arbres squelettiques. Tout est noir ou anthracite, avec de rares échappées vers le gris clair.

Les costumes, ensuite : petite robe noire ordinaire pour Rachel, complets également noirs pour Éléazar et Léopold, imperméables beige ou gris clair pour la foule. Seul, l’habit tout blanc de Brogni, qui le fait ressembler à un pape, et les ceintures rouges des ecclésiastiques viennent apporter un zeste de contraste. Quant à la robe longue en dentelle noire transparente et à la perruque blond platine dont on a jugé bon d’affubler Eudoxie, elles ont pour seul effet (recherché) de la transformer en une vamp vulgaire et quasi nymphomane, obsédée par l’envie de faire l’amour avec Léopold.

Était-il nécessaire d’aller jusqu’à de telles extrémités pour nous faire comprendre l’attachement de la princesse pour son époux ? Fallait-il que la foule brandisse des pancartes « Sauvez la France ! », « La France aux Français ! », « Dehors les étrangers ! » pour que le public saisisse la dimension raciste de l’intrigue ? Olivier Py nous a depuis longtemps habitués à ces « trouvailles », qu’il déplace d’un opéra à l’autre, comme si elles étaient devenues pour lui une forme de signature.

Plus ennuyeux, le metteur en scène et son décorateur-costumier renoncent complètement à l’aspect « grand opéra » de La Juive, pour s’attacher uniquement au drame intime des protagonistes. Volonté délibérée ? Manque de moyens ? Toujours est-il que la pompe et les fastes indissociables du genre, que Py et Weitz avaient si bien illustrés dans Les Huguenots, sont sacrifiés : le cortège d’entrée de l’empereur, à la fin du I, se réduit à l’apparition, au milieu des chœurs disposés sur les marches, d’un figurant torse nu, brandissant une croix ; et les somptueuses réjouissances du III, amputées de l’indispensable ballet, doivent se contenter d’un petit lustre descendant des cintres.

Reste le savoir-faire d’un metteur en scène de talent, capable de régler une direction d’acteurs au cordeau, en particulier dans les deux derniers actes, les moins spectaculaires de l’ouvrage. Les duos entre Eudoxie et Rachel, puis Rachel et Brogni, et enfin Brogni et Éléazar prennent le spectateur aux tripes, la marche au supplice des deux condamnés atteignant des sommets d’émotion.

Dans la fosse, il est vrai, il y a un Daniele Rustioni remarquablement à l’aise dans ce répertoire on ne peut plus difficile à diriger. Par son sens des équilibres et des contrastes, sa manière de faire avancer la musique, sa science dans la mise en valeur des coloris instrumentaux, le jeune chef italien confirme que Serge Dorny, directeur général de l’Opéra de Lyon, a eu raison de le nommer chef principal, à partir de la saison 2017-2018. D’autant que l’orchestre et les chœurs de la maison se montrent, sous sa baguette, encore plus remarquables qu’à l’ordinaire.

La distribution, dans l’absolu en deçà des exigences de rôles taillés aux mesures d’interprètes d’exception, remplit très dignement sa tâche, à l’exception de Sabina Puertolas en Eudoxie. Affligée d’un timbre des plus ordinaires, dépourvue de toute élégance dans le phrasé et confuse de diction, la soprano espagnole traverse le rôle sans rien y comprendre, en cumulant défauts d’intonation et stridences dans l’aigu. On en aurait presque souhaité que le « Boléro » du III soit, comme souvent, coupé !

Rachel Harnisch, en revanche, est une chanteuse attachante et une musicienne sensible, qui nous fait croire de bout en bout en son personnage. Son seul handicap est d’être par nature une soprano lyrique, très éloignée du format requis par Rachel. Tout ce qui est écrit aigu, piano et legato tient du miracle ; tout ce qui se passe dans le bas médium et le grave, ou exige de la véhémence, est quasiment inaudible.

L’Éléazar de Nikolai Schukoff est une bonne surprise. Ce chanteur, que nous avons souvent entendu brutaliser son émission pour se glisser dans des emplois hors de sa portée, joue cette fois la carte de l’allégement et de la nuance. L’aigu est parfois un peu poussif, la souplesse fait défaut dans la cadence de « Dieu, que ma voix tremblante », mais l’ensemble convainc. Comme toujours, ou presque, la redoutable cabalette qui suit « Rachel, quand du Seigneur » est coupée. C’est fort dommage, mais le ténor autrichien aurait-il été en mesure de lui rendre justice ?

Peu agréable à écouter, en raison d’un timbre ingrat et d’un aigu trop serré, Enea Scala a le mérite de faire toutes les notes de Léopold. On lui préfère nettement le percutant Ruggiero de Vincent Le Texier et le noble et émouvant Brogni de Roberto Scandiuzzi, mal à l’aise sur les mi bémol aigus de la « Malédiction » du III, mais au grave d’une belle profondeur dans « Si la rigueur et la vengeance ».

Bilan plutôt satisfaisant, donc, en attendant de voir enfin La Juive telle que nous la rêvons : sans coupures et dans toute sa pompe !

RICHARD MARTET

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