Comptes rendus Il trovatore à l’Opéra Bastille
Comptes rendus

Il trovatore à l’Opéra Bastille

24/02/2016

Ludovic Tézier (Il Conte di Luna)
Anna Netrebko (Leonora)
Ekaterina Semenchuk (Azucena)
Marcelo Alvarez (Manrico)
Roberto Tagliavini (Ferrando)
Marion Lebègue (Ines)
Oleksiy Palchykov (Ruiz)

Daniele Callegari (dm)
Alex Ollé/La Fura dels Baus (ms)
Alfons Flores (d)
Lluc Castells (c)
Urs Schönebaum (l)

La cause est entendue, les stars sont de retour à l’Opéra National de Paris. Et à ceux qui oseraient encore en douter, cette nouvelle production d’Il trovatore, mise en scène par Alex Ollé (La Fura dels Baus), oppose une preuve irréfutable, en alignant, selon le précepte édicté par Toscanini – à moins que ce ne fût Caruso –, les « quatre meilleurs chanteurs du monde ».

Évacuons donc d’emblée ce qui fâche – mais ne pèsera assurément pas bien lourd dans la balance du souvenir que laissera cette première, à tant d’égards électrisante. À Amsterdam, théâtre coproducteur, où la salle est beaucoup plus large que profonde, créant une sensation d’immersion, la scénographie d’Alfons Flores avait pour indéniable mérite de paraître spectaculaire (voir O. M. n° 112 p. 40 de décembre 2015). Depuis le 19e rang de l’Opéra Bastille, elle ne se résume plus, dans une dominante marronnasse peu flatteuse pour l’œil, qu’à ses béances striées de filins actionnant le va-et-vient lassant de blocs censément architecturaux.

D’autant que le piège d’une dramaturgie paresseuse, qui peine à justifier une transposition arbitraire pendant la Grande Guerre, se referme sur une direction d’acteurs affligeante de nullité : à la rampe, bras en croix ou la main sur le cœur, comme au bon (?) vieux temps, voire même pire, quand les solistes doivent interpréter leurs airs en faisant les cent pas.

La fosse, malheureusement, ne compense pas, où Daniele Callegari dirige sans souffle ni vision, précipitant les tempi moins par nécessité dramatique que pour complaire à ses illustres gosiers, souvent peu soucieux des valeurs de notes ou de la barre de mesure.

Vous avez dit quatuor ? Un quintette, en vérité. Car Ferrando, tantôt ahané, tantôt vociféré par des basses charbonneuses, bougonnes ou anémiées, ne devrait jamais être sacrifié à des seconds couteaux. Ô merveille ! Roberto Tagliavini ouvre le feu (« All’erta ! All’erta ! ») avec une fermeté de ton, une netteté de diction, mieux, un sens du récit, qui résonnent davantage que comme de simples promesses.

Une ombre au tableau cependant, et qui tient du paradoxe, tant le soleil authentiquement latin de Marcelo Alvarez ne connaît aujourd’hui d’égal que celui, plus instinctivement crooner, de Vittorio Grigolo. Est-ce le trac, une méforme, qui amènent le ténor, hier apte à la nuance, à brutaliser ainsi la ligne de « Ah ! si, ben mio », avant de bâcler, comme à bout de ressources, une cabalette à l’aigu écourté ? On espérait, en somme, un Manrico noble, héritier de Carlo Bergonzi, et le voici qui suit, avec une ostentation plébéienne, les traces de Franco Bonisolli…

Il était grand temps que Paris découvre Ekaterina Semenchuk dans le répertoire où elle est sans rivale – ou presque, dès lors que Violeta Urmana est loin d’avoir dit son dernier mot. Cette mezzo au cuivre glorieux phrase avec un art consommé de la dynamique expressive, sans rien perdre, sur tout l’ambitus, de l’impact quasi animal de la projection.

C’est néanmoins au Luna de Ludovic Tézier qu’il revient de donner le premier grand frisson de la soirée. Coulé dans un bronze inaltérable, le legato d’« Il balen del suo sorriso » suspend le temps, démontrant, s’il en était encore besoin, la maîtrise absolue de l’idiome verdien acquise par le baryton, et qui ne laisse plus planer le moindre doute sur la suite d’une carrière menée de manière exemplaire.

À son entrée, Anna Netrebko a troqué le look garçonne, arboré par Carmen Giannattasio à Amsterdam, contre une toilette de satin mauve, plus conforme à son statut de prima donna assoluta. Probablement pour de semblables raisons, « Tacea la notte placida » prend ses aises, tant avec le rythme qu’avec l’intonation, tandis que, sans être proprement belcantiste, l’agilité s’avère suffisante pour des cabalettes bousculées et privées de leurs reprises.

Mais assez joué les puristes ! Qu’admirer le plus, en effet, chez Anna Netrebko ? Le format, taillé à l’exacte démesure d’une vocalité depuis trop longtemps orpheline ? Les accents de vierge guerrière, qui hissent Leonora du rang d’archétype de mélodrame à la vérité d’une humanité palpitante ? Le timbre, diamant et braise mêlés, dont le foyer incandescent irradie l’espace, tel un défi lancé à une acoustique ingrate entre toutes ? Portés par un souffle intarissable et des trilles souverains, les aigus miraculeusement irisés et flottants de « D’amor sull’ali rosee » tutoient le firmament.

MEHDI MAHDAVI

Pour aller plus loin dans la lecture

Comptes rendus Turc plein de verve à Avignon

Turc plein de verve à Avignon

Comptes rendus Armide de retour à Paris

Armide de retour à Paris

Comptes rendus Strasbourg fidèle à Schreker

Strasbourg fidèle à Schreker