Comptes rendus Hérodiade à Marseille
Comptes rendus

Hérodiade à Marseille

02/05/2018

Opéra, 30 mars

Florian Laconi (Jean)
Jean-François Lapointe (Hérode)
Nicolas Courjal (Phanuel)
Jean-Marie Delpas (Vitellius)
Antoine Garcin (Le Grand Prêtre)
Christophe Berry (La Voix)
Inva Mula (Salomé)
Béatrice Uria-Monzon (Hérodiade)
Bénédicte Roussenq (La Jeune Babylonienne)

Victorien Vanoosten (dm)
Jean-Louis Pichon (ms)
Jérôme Bourdin (dc)
Michel Theuil (l)
Georges Flores (v)
Laurence Fanon (ch)

Créée à Bruxelles, le 19 décembre 1881, Hérodiade se situe, dans l’œuvre de Massenet, entre l’oratorio La Vierge (1880) et Manon (1884). Sa richesse foisonnante, son exigence envers les solistes, les chœurs et l’orchestre, expliquent peut-être sa rareté sur les affiches.

La nouvelle coproduction entre les Opéras de Marseille et de Saint-Étienne constitue donc un événement d’autant plus remarquable que les chanteurs appartiennent tous à cette troupe francophone que nous comparions, dans notre compte rendu de Philémon et Baucis à Tours, au « corps mystique » de la théologie paulinienne : un ensemble des justes qui, disséminés en tous lieux et privés de leur demeure, forment un seul corps uni en esprit (voir O. M. n° 138 p. 55 d’avril 2018). Cette troupe existe et la distribution réunie à Marseille en apporte la preuve éclatante.

Dès les premières mesures de l’Introduction, que l’on écoute devant le rideau sans agitation superflue, la palette déploie toute sa variété : harpe, violoncelle solo, souple inflexion des cordes, douceur recueillie, puis fulgurante irruption des trompettes annonciatrices de conflits imbriqués (politiques, religieux, amoureux). Le jeune Victorien Vanoosten assume, à la place de Lawrence Foster, cette réhabilitation du chef-d’œuvre négligé, menant avec brio et sûreté un Orchestre de l’Opéra de Marseille survolté.

Mise en scène, décors, costumes, témoignent d’une réflexion aiguë sur Hérodiade et sa place dans l’évolution du théâtre lyrique. Jean-Louis Pichon a repensé sa réalisation de Saint-Étienne (2001) dans le sens d’une épuration, qui confie l’essentiel aux vidéos de Georges Flores et aux lumières de Michel Theuil.

Les « astres étincelants » où le mage Phanuel lit les destins liés d’Hérodiade et de Salomé, la brutale illumination qui redouble l’arrivée du proconsul Vitellius, l’ombre du cachot, le mystère du Temple dispensent de décors matériels, qui alourdiraient et ralentiraient la progression. Des panneaux mobiles, en forme de flèches, figurent les différents lieux.

Les costumes évitent l’orientalisme et la reconstitution ; leur beauté suffit à symboliser la juvénile Salomé, l’altière Hérodiade. Dans une chorégraphie de Laurence Fanon, quatre danseuses, loin de toute gratuité décorative, concourent efficacement au drame.

L’ouvrage, donné dans sa version définitive de 1895, devrait s’appeler Salomé (c’est d’ailleurs sous ce titre que le Covent Garden le représenta, en 1904). Rien ne justifie l’attribution du rôle à un soprano lourd : ne se bornant pas à l’air d’entrée (« Il est doux, il est bon »), il n’implique aucune proximité avec Sieglinde. Pour la suite, il faut un aigu aisé, jamais arraché dans la véhémence. De grandes interprètes de Mireille, de Micaëla, de Liù le servirent. C’est dire qu’Inva Mula est dans son élément vocal, tout de lumière.

Sa grâce, son inquiétude tourmentée par la recherche de la filiation, la découverte de l’amour mystique l’apparentent, comme il se doit, plus à Thaïs qu’à Kundry. L’autorité qu’elle manifeste auprès de Phanuel, la dignité de l’air « Charme des jours passés », la fureur du « Tu me fais horreur ! » qu’elle assène à Hérode et, partout, la complète homogénéité des registres font de cette belle artiste l’interprète rêvée du rôle.

C’est une marque de compétence que de confier Salomé à une soprano lyrique, si l’on distribue Hérodiade à une mezzo tentée par les sopranos dramatiques. Tel est le cas de Béatrice Uria-Monzon, qui redevient mezzo pour la circonstance, ardente dans son adresse à Hérode (« Ne me refuse pas ! »), ainsi que dans l’impérieux « La reine vient ici pour se venger » face à Phanuel.

Du prophète Jean, Florian Laconi a non seulement la vaillance (quel aigu !), mais aussi le charisme. L’air « Ne pouvant réprimer les élans de la foi » l’élève au grand lyrisme, mais le ténor stupéfie aussi par l’héroïsme de sa revendication de liberté.

Hérode, influençable et changeant, perdu dans la recherche d’alliés tactiques pour se maintenir au pouvoir, trouve en Jean-François Lapointe le meilleur interprète aujourd’hui possible. Sa diction, son legato, conviennent parfaitement à « Vision fugitive ». Mais pourquoi un chanteur aussi épris de la tradition n’ose-t-il pas le la bémol aigu sur « Laisse-moi t’aimer ! » ?

Nicolas Courjal, Phanuel au cœur de toutes les intrigues, puisqu’il en connaît le cours, se montre prédicateur de réconciliation, conseiller omniprésent dans les ensembles, terrible lorsqu’il maudit Hérodiade, visionnaire dans son monologue « Dors, ô cité perverse ! ». Le sol grave est au rendez-vous.

Bénédicte Roussenq confère un relief inattendu à la Jeune Babylonienne. La voix de bronze de Jean-Marie Delpas impose le pouvoir redouté de Vitellius. Le Grand Prêtre a la stature et l’autorité d’Antoine Garcin. Christophe Berry chante remarquablement, a cappella, le « Schemâh Israël », repris par le Chœur de l’Opéra de Marseille, qui joue un rôle décisif dans la variété des tons et des genres.

Tant de moments exceptionnels annoncent-ils une ère nouvelle ?

PATRICE HENRIOT

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