Rameau

Castor et Pollux

Colin Ainsworth (Castor) – Florian Sempey (Pollux) – Emmanuelle de Negri (Télaïre) – Clémentine Margaine (Phébé) – Christian Immler (Jupiter) – Virgile Ancely (Le Grand Prêtre) – Philippe Talbot (Un Athlète, Mercure, Un Spartiate) – Sabine Devieilhe (Cléone, Une Suivante, Une Ombre heureuse)
Pygmalion, dir. Raphaël Pichon

2 CD Harmonia Mundi HMC 902212.13

Raphaël Pichon ne s’en est jamais caché : il a deux amours, Bach et Rameau, qu’il défend avec ardeur, au concert comme au disque.

Après Dardanus chez Alpha (voir O. M. n° 90 p. 75 de décembre 2013), voici donc Castor et Pollux, donné en 2014 à Beaune, Besançon, Paris, Bordeaux et au Festival de Radio France & Montpellier Languedoc-Roussillon, où il a été enregistré en public par Harmonia Mundi. La version choisie est celle de 1754, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est, dramatiquement, bien plus efficace que la précédente (1737).

D’emblée, on est frappé et séduit par l’énergie et le dynamisme des forces de Pygmalion, qui rendent la musique présente et vibrante, proche de l’auditeur : nulle préciosité, nul maniérisme, mais une volonté de faire surgir des notes un théâtre vivant. Vif, nerveux, souple, riche de son et de couleurs, l’orchestre mène le jeu. Et si la direction est parfois un rien péremptoire, elle ne manque ni de poésie ni d’imagination, et sait jouer des contrastes pour susciter l’émotion.

Raphaël Pichon impose aussi, pour accompagner les récitatifs, l’usage d’un « petit chœur » : deux clavecins (dont l’un touché par l’excellent Sébastien Daucé), deux dessus de violon et trois basses, ce qui renforce considérablement le poids du texte et donne davantage d’unité au tissu instrumental. Car Castor et Pollux n’est pas une divertissante bluette agrémentée d’épisodes chorégraphiques, mais bien une tragédie ; le drame, qui intègre parfaitement les danses, est profond et cruel.

À la qualité hors pair de l’orchestre répond celle du chœur. La Télaïre, tendre et pure, de la soprano Emmanuelle de Negri détaille avec pudeur ses « Tristes apprêts ». Vraie mezzo, au grave nourri, à l’aigu dardé, au timbre étrange, Clémentine Margaine incarne Phébé, magicienne en proie aux fureurs de la jalousie, et livre un « Esprits, soutiens de mon pouvoir » impressionnant.

Le ténor Colin Ainsworth, au français châtié, soutient sans faillir la tessiture ingrate de Castor, et son « Séjour de l’éternelle paix » est touchant. On commence à parler beaucoup, et avec raison, du baryton Florian Sempey : son Pollux est remarquable d’autorité et de compréhension intime du texte.

Philippe Talbot enlève crânement l’air de l’Athlète (« Éclatez, fières trompettes ») ; et, si Virgile Ancely et Christian Immler sont un rien timides, c’est que leurs interventions sont trop brèves pour susciter une vraie caractérisation. Quel que soit son emploi, Sabine Devieilhe, enfin, enchante par le naturel de sa virtuosité, son chant aérien, son timbre de source fraîche.

Une évidence s’impose : Rameau a trouvé en Raphaël Pichon et ses complices des champions incontestables, qui devancent largement l’intégrale de Charles Farncombe consacrée auparavant à la version de 1754 (Erato), Nikolaus Harnoncourt (Teldec) et William Christie (Harmonia Mundi) ayant choisi celle de 1737. En DVD, n’oublions pas Christophe Rousset (Opus Arte).

Michel Parouty

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