Opéra, 4 mai

PHOTO © JEAN-LOUIS FERNANDEZ

Julien Behr (Admète)
Karine Deshayes (Alceste)
Alexandre Duhamel (Le Grand Prêtre)
Florian Cafiero (Évandre)
Thibault de Damas (Hercule)
Tomislav Lavoie (Apollon)
Paolo Stupenengo (L’Oracle)
Paul-Henry Vila (Un dieu infernal)

Stefano Montanari (dm)
Alex Ollé/La Fura dels Baus (ms)
Alfons Flores (d)
Josep Abril (c)
Marco Filibeck (l)
Franc Aleu (v)

Pour son retour en France, après sa très décevante mise en scène d’Il trovatore à l’Opéra Bastille (voir O. M. n° 115 p. 65 de mars 2016), Alex Ollé, sans retrouver le génie et l’originalité de ses premières réalisations avec le collectif La Fura dels Baus, a livré l’exemple d’une transposition cohérente et réussie.

Son Alceste de Gluck débute très fort. Avant même les premières notes de l’Ouverture, commence la projection d’un film muet à l’avant-scène. On y voit Admète et son épouse, habillés chic contemporain, quitter leur somptueuse hacienda près de Gérone, dans une luxueuse berline. Monsieur est au volant, Madame à ses côtés. La voiture va bon train sur une sinueuse route de campagne, le ton de la conversation s’anime, le chauffeur quitte un instant la route des yeux et… c’est l’accident. Un plan en contre-plongée nous montre le véhicule renversé sur le bas-côté, avec les corps de ses occupants à demi éjectés.

Avec une virtuosité confondante, le film s’interrompt sur un plan fixe tandis qu’apparaît progressivement, derrière l’écran, le spectaculaire décor d’un Alfons Flores toujours aussi inspiré : un intérieur contemporain de style monumental, avec des boiseries acajou et de très hautes fenêtres. Sur la gauche, des chaises et fauteuils Louis XV ; sur la droite, une salle de soins aux parois vitrées, derrière lesquelles Admète, étendu sur un lit d’hôpital, lutte contre la mort, entouré d’un médecin et de deux infirmières.

Après ce début captivant, qui n’est pas sans évoquer certaines réalisations de Romeo Castellucci, Krzysztof Warlikowski et Dmitri Tcherniakov, le spectacle accuse une chute de tension. Lors de la troisième scène, la salle de soins glisse dans les coulisses, remplacée par une longue table, où la famille et les amis du couple prennent place. Par-delà la beauté de l’éclairage – des bougies et un brasero dans lequel le Grand Prêtre, médium barbu façon Raspoutine, jette ses poudres divinatoires –, il ne se passe pas grand-chose.

L’allégresse du début du II, directement enchaîné avec le I, paraît tout autant artificielle et la direction d’acteurs, aussi professionnelle soit-elle, peine à captiver dans la confrontation cruciale entre les époux. Quant à la fin de l’acte, pendant laquelle Alceste passe beaucoup de temps à changer de robe et de chaussures, elle reste à la surface des infinis tourments de l’héroïne.

Et puis, comme souvent dans les mises en scène dont le concept obéit à un principe cyclique, le III relance la machine, tenant le spectateur en haleine jusqu’à son terme. Comme on pouvait s’y attendre, après avoir vu Alceste se jeter par l’une des fenêtres à la fin du II, la salle de soins revient, sauf que c’est la reine, cette fois, qui occupe le lit médicalisé, son visage, recouvert d’un masque respiratoire, projeté en gros plan à l’arrière.

Tout le tableau aux portes des Enfers, fruit d’un esprit errant déjà dans les limbes, baigne dans une lumière fantasmagorique, avec des malades en chemise d’hôpital traînant une chaise derrière eux. Le lieto fine, quant à lui, prend la forme d’un nouveau film muet, dans lequel les époux gambadent dans la campagne avec leurs enfants, avant de poser sous l’œil du photographe. C’est avec cette vision en tête qu’Alceste meurt, avant qu’un épilogue, illustré musicalement par le retour de l’Ouverture, nous montre le rituel de l’exposition de son corps dans son cercueil.

D’ordinaire, nous ne sommes guère friands de ce genre d’entorse faite aux volontés du compositeur et de son librettiste. Mais ce choc final est tellement fort, tellement en accord avec ce qui a précédé, que nous ne pouvons qu’applaudir.

L’enthousiasme est moindre s’agissant de la direction musicale de Stefano Montanari, vive et percutante dans les passages dramatiques, mais trop raide, trop avare de tendresse dans les épanchements lyriques, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Lyon jouant, pour la première fois, avec des archets baroques (pour les cordes) et des instruments naturels ou d’époque (pour les cuivres et les timbales). Le résultat laisse encore à désirer, en termes de beauté du son et de précision dans les attaques, mais l’expérience mérite d’être poursuivie, sur le modèle de ce qui se fait à l’Opernhaus de Zurich, avec La Scintilla.

Le chef italien a, par ailleurs, tendance à couvrir la voix de Julien Behr, Admète aux multiples atouts (joli timbre, émission haut placée, phrasé souple, diction exemplaire), mais un peu en deçà des aspects héroïques du rôle. Aucun problème de puissance, en revanche, pour l’impérieux Grand Prêtre d’Alexandre Duhamel, les seconds plans formant une équipe efficace et soudée, à l’instar des chœurs maison, préparés par Philip White.

Karine Deshayes, enfin, réussit sa première Alceste, avec des aigus lumineux, un médium et un grave riches et sonores, un souffle long et des accents constamment émouvants. Il lui reste à améliorer la netteté de sa diction, en particulier dans les phrases les plus exposées dans l’aigu, où le choix d’un diapason moderne (440 Hz) lui complique encore la tâche.

S’agissant d’une prise de rôle (et quel rôle !), la performance est, d’ores et déjà, remarquable. On espère, à présent, que d’autres théâtres saisiront l’occasion de distribuer la mezzo française en Alceste. L’Opéra National de Paris, en particulier, serait bien inspiré de remonter à son intention l’excellente production d’Olivier Py et Pierre-André Weitz, dans laquelle se sont déjà illustrées Sophie Koch et Véronique Gens.

RICHARD MARTET

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