Le 15 mars, Benjamin, dernière nuit, sur un livret de Régis Debray, ouvre le festival organisé chaque saison par l’Opéra de Lyon, intitulé cette année « Pour l’humanité ». Le « drame lyrique » du compositeur et chef suisse évoque la fin tragique de Walter Benjamin, en 1940.

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© JEAN-BAPTISTE MILLOT

Vous êtes une personnalité aux multiples facettes. Chef d’orchestre, musicien, pédagogue, romancier, votre prochain livre, Ma Rhapsodie, paraît le 11 mars. Défenseur de la musique de votre temps, vous avez été proche de nombreux compositeurs majeurs du XXe siècle, dont Olivier Messiaen, Iannis Xenakis, Karlheinz Stockhausen et Pierre Boulez. Votre œuvre de compositeur comprend un corpus important, dont plusieurs pièces pour la voix. Cependant, vous avez attendu longtemps avant de vous tourner vers la scène lyrique. Comment le désir d’écrire un opéra est-il né ?

Ce projet s’est engagé d’une manière inattendue. Mon ami Régis Debray m’a fait part de son souhait de voir mis en musique le texte théâtral qu’il avait écrit sur la fin tragique du philosophe et penseur allemand Walter Benjamin (1892-1940). Lorsque j’ai découvert son récit, j’ai été saisi par le destin de cet homme dont les questionnements essentiels, urgents, nous interpellent encore aujourd’hui : le fascisme, le racisme, les persécutions, l’exil, la liberté, la responsabilité de l’homme face à l’Histoire… Le 26 septembre 1940, à Portbou, petite ville de Catalogne située à la frontière -française, Walter Benjamin s’est suicidé en avalant de la morphine. Il cherchait alors à fuir la France, son pays d’adoption qui l’avait enfermé dans des camps, en passant par l’Espagne, avec les États-Unis pour destination finale. Dans le texte de Régis Debray, sur fond d’apocalypse frappant le monde, la singularité et la puissance des situations, la précipitation des événements, le relief de caractères extraordinaires, de climats contrastés, ont éveillé en moi des résonances sonores. Je me suis dit que j’avais trouvé matière à un livret équilibré, riche en idées porteuses de musique.

Quels prolongements avez-vous donnés à cette tragédie, centrée sur la figure d’un homme exceptionnel au cœur du fracas de l’Histoire, pour la transposer en dramaturgie musicale ?

J’ai cherché à faire corps avec la substance charnelle du texte, en trouvant des équivalences musicales. La succession de scènes courtes et diversifiées, de climats contrastés, m’a permis de transmuer cette trame en séquences de styles variés, évoquant les rencontres majeures ayant ponctué l’existence de Walter Benjamin. Sous l’effet de la morphine, la conscience se libère, le philosophe se livre à une rêverie dans la solitude de sa chambre, la vie défile au seuil de la mort. En 1940, il discute avec Arthur Koestler, sur le port de Marseille ; en 1926, il est à Moscou, en compagnie de la militante lettone Asja Lacis ; puis à Jérusalem, en 1938, avec son ami Gershom Scholem ; en 1933, il joue aux échecs avec Bertolt Brecht, dans un cabaret berlinois ; en 1938, il rend visite à André Gide, à Paris ; à l’été 1940, il se trouve à New York, en présence de Max Horkheimer ; enfin, la voix protectrice d’Hannah Arendt se fait entendre.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 115

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