Anna Netrebko, dont chaque prise de rôle crée désormais l’événement, n’a pas raté ses débuts en Tatiana. Somptueusement entourée et dirigée, elle a illuminé une reprise d’Eugène Onéguine qui confirme à quel point le Staatsoper de Vienne a toujours la capacité, certains soirs, de devenir le phare de la planète lyrique.

85_compte_rendu-Eugene_Oneguineanna Netrebko aura attendu longtemps avant d’inscrire Tatiana à son répertoire. Dès son apparition, habillée d’une robe toute simple, arpentant l’avant-scène en serrant contre elle un petit livre d’un air songeur, l’héroïne ne laisse aucun doute sur sa nature passionnée, que les conventions sociales étouffent. La voix est celle d’une jeune fille qui se contrôle : les aigus sont moelleux, le médium magnifiquement étale, les graves percutants. Dans l’air « de la lettre », le chant s’épanouit et se déploie avec une fermeté soyeuse.

Très présente vocalement dans les ensembles du II, l’artiste devient tout simplement grandiose au III : sa Tatiana parcourt tous les registres de la séduction, tout en conservant ce quant-à-soi aristocratique qui en impose. L’apparition d’Anna Netrebko dans le rôle à New York, en septembre prochain, pour l’ouverture de saison du Met, devrait faire sensation !

À ses côtés, Dmitri Hvorostovsky, dont l’Onéguine est désormais bien connu, est à peine moins impres- sionnant. Le timbre a conservé sa souplesse, les registres s’interpénètrent sans aucune rupture, et les notes particulièrement exposées, comme dans sa toute dernière intervention, ont l’éclat nécessaire. Le jeune Dmitry Korchak apporte à Lenski une voix au grain brillant, sans chercher à souligner à l’excès le côté sombre du personnage. Son air n’a rien d’une plainte morbide ; chanté sur le fil du souffle, il semble exhaler la tristesse résignée d’un poète qui se sait incompris. L’effet est saisissant ! Tous les seconds plans, se hissant sans peine à la hauteur de l’occasion, concourent à faire de cette soirée « le » moment magique dont rêve tout amateur d’opéra.

Et ce n’est pas tout ! Andris Nelsons obtient du Philharmonique de Vienne un accompagnement d’une magistrale ampleur, qui ne couvre jamais les solistes. Le chef letton empoigne la partition comme une immense symphonie concertante, où les instruments se profilent comme de vrais intervenants dans l’action.

La production n’est pas nouvelle, elle date de 2009. Elle surprend d’abord par ses deux niveaux de lecture, dont on comprend mal le fonctionnement : au premier plan, les personnages se promènent en tenue d’été alors qu’à l’arrière, il neige dru sur une série de couples étroitement enlacés, tout de bleu vêtus. Quand Onéguine rend sa lettre à Tatiana, les amoureux en fond de scène se quittent peu à peu ; au moment du duel, quelques cadavres jonchent le sol. En soufflant aussi crûment le chaud et le froid sur un même plateau, Falk Richter veut rendre visible le contraste entre l’apparence et la réalité.

Au dernier acte, dans un salon aux parois gris-argent, la fête mondaine se mue en cérémonie funèbre pour Tatiana, à jamais prisonnière de la rigidité des règles sociales. À la chute du rideau, elle s’écroule sur le sol, que des flocons de neige épaisse recouvrent lentement, tandis qu’à l’avant-scène, Onéguine se fige dans une pose avantageuse…

 

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