Après Cosi fan tutte, en 2005, et De la maison des morts, en 2007, le légendaire metteur en scène revient à Aix-en-Provence pour Elektra, à partir du 10 juillet. Coproduit avec la Scala de Milan, le Metropolitan Opera de New York, l’Opéra d’Helsinki, le Staatsoper de Berlin et le Liceu de Barcelone, ce spectacle constitue l’un des événements majeurs de l’été des festivals et, plus généralement, de l’année lyrique 2013.

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Dans un entretien avec un de mes confrères, vous avez dit que vos mises en scène lyriques étaient toujours le résultat d’une commande ; est-ce encore le cas ?
Cela a toujours été le cas. Ce sont des propositions qui me sont faites. C’est inévitable, les projets d’opéra se mettent sur pied trois ou quatre ans à l’avance mais, de moi-même, je ne me projette jamais aussi loin dans le temps. Lorsqu’on me demande si je serai libre en 2014 ou en 2015, je peux donner une réponse. Mais comment savoir ce que je ferai en 2016 ou 2018 ? Mon agenda ne va pas jusque-là ! Je n’arrive d’ailleurs jamais en premier dans ce genre d’entreprise, le chef d’orchestre est déjà prévu, la distribution est ébauchée. Mais j’ai toujours la liberté d’accepter ou pas. Si on me propose le Don Carlos de Verdi, je dis non. Même réponse quand on tente de me convaincre de mettre en scène des ouvrages tirés de Shakespeare, l’Otello de Verdi par exemple, que je n’aime pas beaucoup, parce qu’il n’a plus rien à voir avec l’Othello original. Idem pour le Lear d’Aribert Reimann. Je ne connais pas d’exemple d’opéra adapté d’une des pièces de Shakespeare qui soit à la hauteur de son théâtre.

Qui a eu l’idée d’Elektra ?
Le Festival d’Aix-en-Provence et Bernard Foccroulle, ainsi que la Scala de Milan et Stéphane Lissner. Le Metropolitan Opera de New York est venu ensuite. C’est la même configuration que celle qui s’était formée pour De la maison des morts, en 2007. Et surtout, Esa-Pekka Salonen et moi avions envie de retravailler ensemble, après la reprise du Janacek à New York, en 2009, et à la Scala, en 2010. C’est à lui que j’ai dit oui. Puis les trois théâtres se sont regroupés pour une coproduction, dans laquelle sont entrés plus tard l’Opéra d’Helsinki, le Liceu de Barcelone et le Staatsoper de Berlin.

Cette fois, vous avez accepté aussitôt !
À cause de Sophocle, de Hofmannsthal… Elektra vient de la nuit des temps. Lorsqu’on monte cet opéra, on suit un long parcours qui commence avec l’Iliade et se poursuit avec Eschyle, Sophocle, Euripide, jusqu’à Hofmannsthal. Cela dit, Strauss lui a demandé d’apporter des modifications à sa pièce. Il y avait une volonté chez Hofmannsthal de refuser une Grèce trop classique, il se dirigeait plutôt vers une sorte de barbarie orientale ou primitive. Il a, j’imagine, suivi les suggestions du compositeur, et du coup, la musique et les coupes de Strauss ont rendu certaines choses plus fines et plus différenciées.

Et si l’on vous avait suggéré un autre Strauss, Der Rosenkavalier par exemple ?
Ç’aurait été non. C’est une musique qui ne m’intéresse pas beaucoup, le faux XVIIIe siècle encore moins. Strauss et Hofmannsthal, dans leur collaboration, sont ici partis dans une direction étrange pour moi. C’est très mystérieux, d’autant plus que c’est l’opéra qui vient juste après Elektra

En dehors de votre réflexion sur le texte, comment procédez-vous ? Les enregistrements sont-ils une aide ?
Ils le sont forcément, puisque que je ne lis pas la musique. J’écoute des disques, donc, mais ce ne sont pas de très bons instruments de travail, car on entend trop l’orchestre, pas assez les chanteurs… On ne retrouve pas la stéréophonie naturelle qui est celle que perçoit le spectateur dans la salle. C’est très net dans le cas d’Elektra, ça l’était également pour Tristan.

Qu’aimez-vous dans l’opéra ?
La combinaison du texte et de la musique est passionnante : travailler sur un temps mesuré est une contrainte absolument fascinante, qui m’a toujours enrichi et fait progresser au théâtre comme au cinéma. Et puis, certains textes peuvent se contenter d’être dits, quand d’autres ont besoin de la musique, qui leur ajoute autre chose. C’est le cas de Wozzeck. C’est également celui d’Elektra : la partition de Strauss apporte souvent une clairvoyance et une utilisation du temps que Hofmannsthal n’avait pas toujours dans sa pièce.

Quel est le fond de votre démarche ?
Je souhaite retrouver la cohérence et la force des textes de base, celles de ces œuvres vers lesquelles je ne suis encore jamais allé : la tragédie grecque, que je n’ai jamais abordée de front. Lorsque j’ai monté Phèdre, je l’ai cherchée sous les vers de Racine… Le plaisir de la commande coïncide avec celui des idées que je n’aurais pas eues ; si je trouve un intérêt dans ces idées, j’accepte sans hésiter. Jamais je n’aurais imaginé, de moi-même, mettre en scène De la maison des morts.

 

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