Au moment où commence son deuxième mandat de directeur général du théâtre bruxellois, Peter de Caluwe dresse l’état des lieux de l’une des scènes européennes les plus innovantes.

Malgré les restrictions budgétaires, il réussit encore, cette saison, à proposer une programmation aussi variée qu’alléchante, dont le prochain temps fort sera Hamlet d’Ambroise Thomas, le 3 décembre, dirigé par Marc Minkowski et mis en scène par Olivier Py, avec Stéphane Degout dans le rôle-titre.

89_en_coulisse_-_la_monnaie_bruxellesVous entamez, en ce début de saison 2013-2014, votre deuxième mandat de six ans à la tête de la Monnaie…
Le conseil d’administration du théâtre souhaitait continuer avec moi et, personnellement, je me suis toujours projeté sur la durée de deux mandats. Douze ans ne sont pas de trop pour construire une vraie politique à l’intérieur d’une maison. On m’a proposé d’autres postes en Europe, et j’en ai été flatté. Mais je crois que la Monnaie est le bon théâtre pour moi, à l’heure actuelle. Rien ne m’attire davantage que de rester ici ! En 2019, on verra… Je n’aurai que 55 ans, un âge auquel je me vois mal m’arrêter.

Sur le plan artistique, comment définiriez-vous votre politique ?
Pour moi, l’opéra n’est pas du divertissement, de l’« entertainment » comme on dit en anglais. Je le vois comme une interrogation sur notre société, comme une manière d’aider le public à comprendre le monde contemporain. Cela vaut aussi pour les hommes politiques, qui doivent vivre la culture comme une partie de leur fonctionnement quotidien, et pas seulement comme une occasion de se détendre. Bien sûr, cette perception varie selon le théâtre dans lequel vous travaillez. Si j’étais à la tête de l’Opéra d’Amsterdam, je ne concevrais pas mes saisons de la même manière qu’à la Monnaie ! Une programmation doit s’adapter à une ville, à ses habitants. Et je trouve qu’à Bruxelles, il existe un bon équilibre entre le répertoire proposé, les artistes invités et les attentes des spectateurs. S’il me fallait me battre pour défendre une politique artistique, si je devais affronter en permanence un public hostile, je n’éprouverais plus de plaisir. Sur ce plan, je ne ressemble pas à Gerard Mortier, qui vit bien le conflit. Moi, il m’empêche d’être créatif. Je préfère donc rechercher l’harmonie.

En six ans, qu’est-ce qui a changé sur le plan du fonctionnement intérieur de la Monnaie ?
Le théâtre a moins de moyens financiers. En 2007, quand je suis arrivé, le budget, fixé selon un protocole signé dix ans plus tôt, était satisfaisant. Nous avons dû renégocier ce protocole, pile au moment où éclatait la crise financière, mais pour cinq ans, cette fois. L’austérité s’y faisait sentir ; elle n’a fait que se confirmer au fil des saisons. Depuis, le gouvernement fédéral n’a pas arrêté de nous imposer des économies supplémentaires : nous sommes à une diminution de presque 18 % en cinq ans ! Et je sens que l’État, comme un peu partout, souhaite se retirer de plus en plus…

Quel est le budget de la Monnaie aujourd’hui ?
Le théâtre, propriété de l’État belge, fonctionne avec un budget de 46 millions d’euros, dont 34 millions de subvention de l’État, le reste venant de nos recettes propres, billetterie en tête. L’important, c’est que, par-delà les mesures d’austérité, nous sommes parvenus à ne pas diminuer la part réservée à la production artistique : entre 13 et 14 millions d’euros depuis 2000. Elle est nécessaire à la préservation de notre statut de théâtre de création, doté de son propre orchestre, de ses propres chœurs et de ses propres ateliers. Nous n’avons jamais rogné sur la qualité de nos spectacles et, en 2012-2013, nous avons encore pu proposer cinq nouvelles productions au public : Lulu, La traviata, Manon Lescaut, la première mondiale de La Dispute de Benoît Mernier et Lucrezia Borgia. Que dis-je ? Six, en incluant le Cosi fan tutte coproduit avec le Teatro Real de Madrid ! Peu de maisons d’opéra en sont aujourd’hui capables. Nous avons réussi grâce à nos excellentes recettes de billetterie, au développement des coproductions, et à un système de mécénat très performant, mis en place il y a quatre ans, qui nous rapporte environ 1,8 million d’euros. Maintenant, je ne voudrais pas que les décideurs politiques, constatant que le niveau artistique et le succès public ne diminuent pas malgré les coupes, se sentent autorisés à sabrer encore davantage !

Vous reprenez très peu de vos spectacles…
Pelléas et Mélisande en 2012-2013, aucun en 2013-2014… Je crois que le public de la Monnaie aime toujours être surpris, sollicité par quelque chose de nouveau, quitte parfois à être choqué par ce qu’il voit. J’ai beaucoup dialogué avec les spectateurs, cette année, notamment parce qu’il s’agissait d’une programmation moins « facile » que les saisons précédentes. Cela m’a permis de prendre la mesure de leurs désirs, de leurs envies, de leurs rejets aussi. Je sais, par exemple, que je remplirais aisément la salle en reprenant la mise en scène de Die Zauberflöte signée William Kentridge ; à l’inverse, je me souviens qu’en 2011, quand nous avons redonné la Rusalka de 2008, l’affluence a été beaucoup moins forte… Certains théâtres se satisfont d’un taux de remplissage de 85 %. Pour nous, habitués à ­99-100 %, c’est inenvisageable ! Dans tous les cas, notre nombre d’abonnés, qui tournait autour de huit mille en 2012-2013, est encore en augmentation cette saison, ce qui est le signe que nous sommes dans la bonne direction.

 

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