Propulsé au rang de vedette grâce à sa performance dans Artaserse de Vinci, en 2012, à la scène comme au disque, le contre-ténor argentin est l’un des artistes les plus sollicités du moment. Alors que sort son nouveau récital en CD chez Naïve, entièrement dédié à la musique de Porpora, il prépare ses débuts en Idamante, dans une nouvelle production d’Idomeneo à l’affiche du Covent Garden de Londres, à partir du 3 novembre.

99_-_ENTRETIEN_-_Franco_FagioliLa majorité du public français vous a découvert il y a deux ans, grâce à votre interprétation d’Arbace dans Artaserse de Vinci. Quel a été votre parcours ?
J’avais déjà chanté en France : Tolomeo dans Giulio Cesare au Théâtre des Champs-Élysées, en 2006. Mais il est vrai que je me produisais surtout en Allemagne, à Karlsruhe et Stuttgart, ainsi qu’à l’Opéra de Zurich. En Argentine, j’ai suivi des études complètes de piano, et ce n’est que vers l’âge de 18 ans que j’ai décidé de me consacrer au chant. J’ai quitté San Miguel de Tucuman, ma ville natale, pour aller prendre des cours à l’Institut Supérieur des Arts du Teatro Colon, à Buenos Aires. Puis j’ai eu la chance de remporter le Concours « Neue Stimmen », qui m’a permis de débuter en Europe.

Comment avez-vous découvert votre registre de contre-ténor ? Peut-être ce type de voix n’était-il pas des plus courants en Argentine ?
En effet, mais j’étais tellement sûr de mon fait que j’ai commencé à pousser quelques portes. J’avais été soprano dans un chœur d’enfants, où l’on me confiait toujours les solos. Cette expérience m’a beaucoup marqué, et a participé à construire ma personnalité musicale. Je n’ai jamais arrêté de jouer avec ma voix, même durant la période où j’étais concentré sur mon piano. Mais évidemment, personne n’est venu me dire, alors que je faisais l’imbécile en imitant les sopranos, que j’étais contre-ténor ! Et puis, un jour, je suis allé chez un disquaire pour me procurer le Stabat Mater de Pergolesi. J’ai pris le premier CD venu, mais à l’écoute, le timbre de l’alto m’a paru étrange. C’est en lisant la pochette que je me suis rendu compte que cette partie était tenue par un homme : James Bowman. Cette façon de chanter, que je n’avais jamais vraiment prise au sérieux, existait donc ! C’est à ce moment que j’ai décidé de devenir contre-ténor. Mais où trouver un professeur ? Par coïncidence, la cantatrice américaine Annelise Skovmand, mariée à un guitariste argentin, venait de s’installer à San Miguel de Tucuman. J’ai décidé d’aller la voir. J’étais son premier élève contre-ténor, mais elle a accepté de m’enseigner ce qu’elle savait, en l’occurrence la technique belcantiste.

Aviez-vous déjà ces capacités extraordinaires dans l’aigu, ou les avez-vous acquises progressivement ?
Ma voix était déjà assez étendue lorsque j’ai commencé, mais je ne savais pas comment aborder les aigus : les sons que j’émettais étaient affreux. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas m’aventurer dans ce registre avant d’avoir appris à le faire correctement. Certains sont tellement impressionnés d’entendre un homme chanter aussi haut qu’ils ne se soucient plus de savoir si le son est beau ! Comme auditeur, je déteste éprouver la sensation qu’un chanteur va briser son instrument. J’ai donc démarré ma carrière dans des rôles plutôt graves, tout en continuant à perfectionner ma technique afin de pouvoir atteindre, aussi bien que possible, les notes se situant un peu au-dessus du registre habituel de contre-ténor. Pour m’en tenir à la terminologie moderne, ma tessiture est aujourd’hui celle d’un mezzo-soprano.

Comment avez-vous su que le moment était venu de vous lancer dans les grands rôles d’opéra, écrits pour des castrats ?
Je dois exprimer toute ma gratitude à Rossini, dont la musique m’a appris à chanter dans l’aigu, et à Haendel. Le rôle-titre d’Ariodante, abordé à Karlsruhe, en 2010, l’année précédant mes débuts dans Aureliano in Palmira au Festival de Martina Franca, a été une grande étape dans ma carrière. Non seulement parce qu’aucun contre-ténor ne l’avait jamais interprété dans son intégralité, mais aussi dans la mesure où il m’a apporté la preuve que j’allais dans la bonne direction.

D’Ariodante à Arbace dans Artaserse, également composé pour Carestini, il n’y avait qu’un pas, que vous avez franchi grâce à Max Emanuel Cencic…

Notre rencontre remonte à 2005. Nous nous étions croisés à des auditions, et avions même partagé une loge à l’Opéra de Zurich, avant de nous retrouver, dès l’année suivante, en Italie. Avec Max Emanuel, nous avons toujours entretenu d’excellentes relations. Sans doute pensait-il, depuis longtemps, que je devais intégrer ce projet autour d’Artaserse ; en tout cas, il m’a offert une formidable opportunité, en me permettant de faire vivre un rôle pareil. Son travail de directeur artistique est de grande qualité, et j’espère que nous aurons beaucoup d’autres occasions comme celle-ci !

Mieux encore qu’une vedette, Artaserse a fait de vous un phénomène, quasiment du jour au lendemain !
Cette production constitue un moment historique, non seulement pour moi, mais aussi pour la scène musicale. Par un concours de circonstances, j’ai chanté le bon rôle au bon moment. Je suis très reconnaissant envers le public d’avoir accueilli ma prestation avec un tel enthousiasme, car c’est le résultat d’années d’études et de préparation. J’ai essayé de donner le meilleur de moi-même… D’autant qu’il s’agit d’une partition périlleuse ! L’extraordinaire retentissement qu’a eu Artaserse m’a ouvert de nouvelles portes, particulièrement en France, où j’ai pu constater à quel point la musique baroque était appréciée.

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