Du 5 au 15 octobre, à l’Auditorium, l’Opéra de Dijon tente le pari d’une Tétralogie.

Dirigée par Daniel Kawka et mise en scène par Laurent Joyeux, directeur général et artistique de la maison. Et pas n’importe laquelle, puisque des coupures ont été pratiquées pour pouvoir donner l’ensemble du cycle sur deux jours, le compositeur Brice Pauset, dont le nom figure sur l’affiche à côté de celui de Wagner, ajoutant des transitions et deux préludes. Mehdi Mahdavi a suivi pour Opéra Magazine le travail de conception de ce spectacle hors normes, en prise directe avec ses auteurs. Reportage, en forme de « making-of », sur l’une des aventures les plus originales de cette année Wagner.

87_evenement_-_dijonUn Ring à l’Opéra de Dijon ? C’est le pari un peu fou certes, mais mûrement réfléchi, que Laurent Joyeux a décidé de relever pour le bicentenaire de la naissance de Wagner. D’autant qu’il en signe aussi, et pour la première fois, la mise en scène. L’audace du directeur général et artistique de la maison bourguignonne est bien connue : à peine nommé, n’avait-il pas osé présenter, en 2008-2009, Tristan und Isolde dans la mise en scène d’Olivier Py, créée à Genève, en 2005 – moins d’ailleurs par ambition que par volonté d’employer enfin, à leur juste valeur, les équipements du flamboyant Auditorium, inauguré dix ans plus tôt ? Prenant à cette occasion la mesure d’une fosse d’orchestre aux dimensions rêvées pour le déploiement de l’effectif prescrit par le compositeur, le chef Daniel Kawka lui souffle l’idée d’une Tétralogie. « Il a fallu le temps qu’elle germe, et puis un jour, on a décidé de se lancer. Alors s’est engagée une double réflexion sur la forme à donner à ce projet, tant du point de vue artistique que sur la façon de rendre l’œuvre accessible au grand public. »

RENDRE LE RING ACCESSIBLE
C’est, en effet, la première mission que s’est fixée Laurent Joyeux à son arrivée. « Les opéras de Wagner exigent des moyens considérables. Cela doit-il pour autant signifier que le public d’une maison de taille moyenne ne peut avoir accès à ses grands chefs-d’œuvre ? Il me paraît dommage de passer à côté d’un compositeur essentiel de l’histoire de la musique pour une telle raison – qu’on l’aime ou qu’on le déteste, peu importe, il faut savoir pourquoi ! D’où l’idée de pratiquer des coupures dans le Ring, afin de présenter les quatre opéras sur deux jours seulement, avec une logique tarifaire qui ne soit plus un frein : 150 euros pour un cycle complet, c’est certes une somme d’argent, mais à peine le prix d’une seule place de première catégorie à l’Opéra National de Paris. De ce point de vue, nous avons gagné notre pari.
Bien sûr, les gardiens du temple crieront au scandale… alors même que les partitions de Tannhäuser et de Tristan sont rarement jouées dans leur intégralité ! Mais nous tenions à conserver l’esprit de « festival » voulu par le compositeur. Car hormis le wagnérophile familier des différentes lectures de l’œuvre, quel spectateur, parvenu au terme du cycle, serait capable de se souvenir de ce qu’il a vu, au mieux trois ans, au pire cinq ou six ans avant ? Deux jours – le premier consacré à Das Rheingold et Die Walküre, le second à Siegfried et Götterdämmerung –, ce n’est pas plus que le temps nécessaire au visionnage de la saga complète de Star Wars ! Plutôt que des microcoupures, nous avons opéré de grosses coupes franches, qui permettent à la fois de suivre le fil de l’action et de conserver dans leur totalité des passages traditionnellement jugés trop longs, comme le monologue de Wotan au deuxième acte de Die Walküre, pourtant indispensable à la compréhension du personnage. »

L’INTERVENTION D’UN COMPOSITEUR D’AUJOURD’HUI
C’est une première façon de se démarquer de Ring Saga (1990), version de la Tétralogie ramenée à neuf heures et dix-huit instruments par Jonathan Dove et Graham Vick – contre plus de douze heures avec l’orchestre au grand complet pour celle commandée par Laurent Joyeux –, et qui avait tourné à travers la France, à l’automne 2011, dans une production de T&M-Paris. La seconde est de proposer, plutôt qu’une simple mise en images, aussi ludique et efficace soit-elle, une authentique vision, justifiant le sous-titre accolé à Der Ring des Nibelungen, autant que le nom de Brice Pauset, compositeur en résidence à l’Opéra de Dijon, à celui de Richard Wagner. Hin und Zurück (Aller-retour) traduit en effet l’intention dramatique et musicale forte, non pas de faire table rase du passé, mais d’inscrire « l’œuvre d’art de l’avenir » dans une perspective allant de sa création à Bayreuth, en 1876, à aujourd’hui, en rendant hommage aux mises en scène qui ont participé à forger le mythe même du Ring.
Ainsi, la tâche qui incombe à Brice Pauset (né en 1965) est double. D’une part, « des transitions à réaliser, absolument dans le style de Wagner, dues aux raccourcis et aux coupures qui, petit à petit, ont été opérées dans le contexte général du Ring. Il s’agit quelquefois d’une mesure, voire de pas de mesure du tout, car en trouvant le bon marqueur, il est possible de glisser d’une réplique à l’autre sans que nul ne s’en rende compte. Mais cela peut aussi aller jusqu’à 30 secondes, pour des raisons dramaturgiques qui correspondent parfois à des nécessités musicales, notamment lorsqu’un motif a besoin d’un peu plus de temps pour s’épanouir ». D’autre part, la création d’un prélude à chacun des deux jours du cycle : comme en exergue à Das Rheingold et à Siegfried, Die Alte Frau et Die Drei Nornen tendent à interroger le rapport du musicien contemporain à Wagner, autant qu’à éclairer la toile complexe minutieusement tissée par ce dernier.

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