Créé à l’Opéra-Comique, le 5 avril 1877, l’antépénultième opéra représenté de Gounod n’a jamais connu les faveurs de Faust, Mireille ou Roméo et Juliette. Tombé dans un quasi-oubli depuis plus d’un siècle, il ressuscite aujourd’hui, grâce aux efforts de l’infatigable Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française, sous la forme d’une version de concert, donnée successivement au Prinzregententheater de Munich, le 25 janvier, au Theater an der Wien, le 27, et enfin à l’Opéra Royal de Versailles, le 29. La distribution est luxueuse, emmenée par Charles Castronovo, Véronique Gens et Tassis Christoyannis, avec Ulf Schirmer au pupitre de l’excellent Münchner Rundfunkorchester.

102_-_EVENEMENT_-_cinq-marsFaust, au sein de la production lyrique de Gounod, c’est l’arbre qui cache la forêt. S’il ne fait pas d’ombre à Roméo et Juliette, s’il laisse toujours passer les rayons solaires de Mireille, admiré ou vilipendé, Faust reste la référence. Vite monté au firmament, il a, d’un coup d’aile, fait oublier Sapho qui, en 1851, ouvrit à Gounod les portes de l’Opéra de Paris grâce à la protection de Pauline Viardot, créatrice du rôle-titre. De même que La Nonne sanglante (1854), sur un livret fantastique d’Eugène Scribe, qui n’a pas réussi non plus à s’imposer.
Malgré leurs qualités, ce n’étaient là que des galops d’essai pour Gounod, rêvant d’écrire un Faust dont il accumulait les esquisses depuis quinze ans. En vain, car les directeurs des théâtres parisiens ne voyaient pas à cet ancien séminariste un avenir de compositeur lyrique. C’est avec Le Médecin malgré lui qu’il allait faire ses preuves, en 1858, sur une scène marginale, le Théâtre-Lyrique dont le directeur, Léon Carvalho, menait une politique artistique plus aventureuse que celles de l’Opéra et de ­l’Opéra-Comique. Cette adaptation de la comédie de Molière lui fit, en outre, rencontrer des librettistes libérés des stéréotypes de la poésie d’opéra : Jules Barbier et Michel Carré, qui allaient devenir ses collaborateurs privilégiés. L’année suivante, avec eux, et toujours au Théâtre-Lyrique, il eut enfin le feu vert pour son Faust, dont le succès ne cessa de croître. Suivirent, sur cette même scène, Philémon et Baucis et La Colombe (1860), Mireille (1864) et, surtout, Roméo et Juliette dont le triomphe immédiat, en 1867, fit oublier l’échec de La Reine de Saba à l’Opéra, cinq ans plus tôt.

UN OPÉRA TRÈS ATTENDU
Fort de la position qu’il avait acquise, Gounod s’attela à deux grands sujets empreints de métaphysique : Françoise de Rimini, dont il voulait arracher les héros à l’Enfer (et qu’il abandonna chemin faisant), puis Polyeucte, d’après la tragédie de Corneille, commencé en 1869 et dont la création se fit attendre jusqu’en 1878. Ce long silence, tandis que Faust, transféré à l’Opéra, faisait des recettes considérables, attisait la curiosité du public. Mais il ne voyait rien venir. Aussi quand, en septembre 1876, Léon Carvalho (qui avait présidé à la naissance de Faust, Mireille et Roméo et Juliette au Théâtre-Lyrique) accéda à la direction de l’Opéra-Comique, il se tourna vers son ami Gounod, sachant qu’une œuvre nouvelle remplirait sa salle, en attendant que Polyeucte paraisse à l’Opéra. Il ne se trompait pas, puisqu’il ne reçut pas moins de dix mille demandes pour la première représentation de Cinq-Mars, le 5 avril 1877…
La distribution n’avait pourtant rien d’exceptionnel. Elle réunissait notamment, côté hommes : M. Stéphanne, un ténor qui accepta un rôle de baryton élevé (De Thou), une étoile montante, le ténor Étienne Dereims (Cinq-Mars), et une vraie basse profonde, Alfred-Auguste Giraudet (le Père Joseph). Côté femmes : une débutante, Mlle Chevrier (Marie de Gonzague), Mme Franck-Duvernoy (Marion Delorme), plus confirmée, la charmante Mme Périer (Ninon de l’Enclos), et Mlle Lévy (le Berger).
Les costumes, dont l’authenticité même rebuta une partie du public, avaient été copiés sur des gravures d’époque, issues de la collection du peintre Gérôme. Les décors étaient signés des plus grands noms : Rubé, Chaperon, Lavastre et Carpezat. Le directeur Carvalho dit avoir fait cent mille francs de frais, la même somme considérable que Léon Grus offrit au compositeur pour éditer sa partition. Charles Lamoureux conduisait un orchestre augmenté d’une douzaine de cordes ; mais comme il se brouilla avec Carvalho au bout d’un mois, Gounod eut le plaisir de diriger son œuvre lui-même jusqu’au 21 mai.

QUALITÉ DE DESSIN ET DE CARACTÈRE
On ignore qui choisit le sujet et à quelle date Gounod se mit au travail. Jeté sur le papier en trois mois, Cinq-Mars fut achevé début janvier 1877. Le roman d’Alfred de Vigny (publié en 1826) avait déjà inspiré un livret d’opéra à Saint-Georges, qui l’avait soumis à Meyerbeer en 1837, sans succès. Le Figaro du 17 novembre 1864 avait signalé que Gounod projetait de composer un Cinq-Mars et De Thou, sans doute sur ce livret de Saint-Georges, mais le compositeur ne donna pas suite et dira avoir transmis la pièce à Bizet, qui n’en fit rien.
La nouvelle adaptation de Paul Poirson, habilement versifiée par Louis Gallet, dut lui sembler meilleure : « J’ai, dans le sujet que je traite en ce moment, l’occasion de produire certaines qualités de dessin et de caractère qui sont proprement du ressort de la musique dramatique », écrivit-il à sa femme, le 4 décembre 1876.

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