Après Nixon in China en 2012, le chef australien revient au Châtelet, à partir du 11 juin, pour une nouvelle production de I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky, « songplay » en deux actes, créé à Berkeley en 1995.

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Comment expliquez-vous l’immense popularité dont jouit John Adams dans le monde entier ?
Elle s’explique tout simplement parce que sa musique est très savante et, pourtant, toujours accessible. D’autres compositeurs comme Philip Glass, Thomas Adès, Peter Eötvös, sont très connus mais aucun ne l’est autant qu’Adams, qui touche un très large public. Quand vous écoutez les compositions d’Eötvos, elles peuvent vous paraître extrême- ment complexes, mais ne vous imaginez pas que celles d’Adams ne le sont pas… Diriger Nixon in China, c’est comme diriger Le Sacre du printemps trois fois d’affilée ! Les problèmes de rythme, de mesure, sont redoutables.

D’où vient l’originalité de I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky (Je regardais le plafond et, soudain, j’ai vu le ciel) ?
Le livret de June Jordan évoque des problèmes de société que tout le monde peut comprendre, quels que soient sa nation d’origine, sa couleur de peau, le milieu dans lequel il est né ou évolue. Le racisme, l’immigration, tous les pays y sont confrontés un jour : le vôtre, la France, comme le mien, l’Australie. Même chose pour la sexualité, la contraception, l’usage des préservatifs… Pour résumer, la différence entre le Don Giovanni de Mozart et I Was Looking at the Ceiling, c’est que le premier s’adresse à l’imaginaire, tandis que le second est profondément ancré dans la réalité quotidienne.

Et la musique ?
Dès qu’on ouvre la partition, les difficultés sautent aux yeux. Pour les chanteurs, elle est d’une exigence impitoyable. Les styles les plus variés se succèdent tout au long des vingt-trois numéros. Aucun dialogue parlé ne vient rompre la succession des songs, et le chef doit toujours se tenir en éveil. Mais ce sont justement cette variété et ces contrastes qui sont intéressants. On commence dans la veine minimaliste, puis on passe au rock, ou à du jazz contemporain proche de celui de Dave Holland. C’est une musique vraiment très excitante ! Elle n’a rien d’un pastiche ou d’une parodie, elle n’est jamais traitée sur le mode comique.

Les répétitions viennent de commencer au Châtelet ; que percevez-vous pour l’instant de la production ?
Ce que j’en ai vu est étonnant. La mise en images à laquelle se livrent Giorgio Barberio Corsetti et son équipe est superbe, et l’utilisation de la vidéo très impressionnante. Il fallait réunir une distribution jeune, puisque les personnages sont à peine trentenaires : un reporter, un avocat sur le point de plaider sa première affaire, un policier ambigu, une étudiante… Tous vont voir leur vie bouleversée par un tremblement de terre.

Quelle relation entretenez-vous avec le public parisien depuis votre succès dans Nixon in China ?
Ce qui me touche, c’est que les spectateurs parisiens font preuve de curiosité, se déplaçant même pour des ouvrages qui ne leur sont pas familiers. J’avais été étonné, la saison dernière, en assistant à une représentation d’Orlando paladino de Haydn au Châtelet, de constater que de nombreux jeunes étaient dans la salle et que le spectacle les fascinait. Ce sont eux, notre futur public ! Aux États-Unis, en Angleterre ou en Australie, les enfants ne vont pas à l’opéra, ils considèrent que c’est un art « ringard ». Les spectateurs du Châtelet savent qu’ils vont assister à quelque chose de neuf, qu’ils ne verront pas ce qu’on leur propose à l’Opéra Bastille. Ça leur plaît et ils reviennent !

Qu’aimeriez-vous diriger à Paris ?
Je n’oublie jamais l’enfant que j’ai été. Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours eu en tête l’idée du spectacle, qu’il s’agisse du théâtre ou du cinéma. La mode l’a emporté, mais j’ai réalisé mon rêve lorsque Jean-Luc Tardieu, qui était alors directeur de la Maison de la Culture de Loire-Atlantique, à Nantes, m’a commandé les costumes de Chantecler d’Edmond Rostand.

Quelle place la musique occupe-t-elle dans votre vie ?
Certains opéras de Britten, comme The Rape of Lucretia ou A Midsummer Night’s Dream, que j’ai dirigés en Australie dans une mise en scène fantastique de Baz Luhrmann. Mais ma grande passion, c’est Janacek ; c’était aussi celle de mon oncle, Charles Mackerras. J’ai ainsi pris beau- coup de plaisir, au Festival d’Aix-en-Provence, avec La Petite Renarde rusée. J’aimerais également continuer à défendre les compositeurs contemporains. Voici quelques années, à Aix, j’ai eu la chance de travailler plusieurs semaines avec Pierre Boulez. C’est lui qui m’a introduit à l’Orchestre de Paris – avec lequel j’ai débuté, en 2005, en dirigeant, entre autres, le Concerto pour piano de Schoenberg, avec François-Frédéric Guy en soliste – et qui m’a fait rencontrer Simon Rattle. C’est un homme et un professeur merveilleux.

 

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